Porteur d'une gourde pleine du lait d'Éléphant et d'une outre1 contenant du lait de Baleine, Leuk se rend tout droit chez Oncle Gaïndé-le-lion.
Dès que ce dernier l'aperçoit, il crie de sa voix de tonnerre :
« Que viens-tu faire dans ma demeure ?
– Oncle Lion, roi des rois, que votre majesté ne s'emporte pas contre moi. Je viens lui rendre un grand service.
– Quel service un galopin comme toi peut-il me rendre ?
– Un grand malheur va tomber sur le pays. La plus terrible des épidémies est signalée par un marabout2 venant de l'Orient. Cette épidémie, a-t-il dit, fera mourir tous les êtres vivants si on ne fait rien pour l'éloigner, je demande aux grands de la brousse d'offrir ce qui est nécessaire pour me permettre de l'arrêter. Ce marabout m'a choisi pour vous transmettre la commission.
– Et que demande-t-il pour arrêter l'épidémie ?
– Pas grand-chose, votre majesté. Il lui faut du lait d'Éléphant, du lait de Baleine, une dent de votre majesté et une griffe de Panthère.
– Et qu'est-ce qui prouve que tu ne mens pas ?
– La preuve, la voici », dit Leuk en ouvrant l'outre et la gourde.
Oncle Gaïndé examine fort attentivement le contenu des deux récipients.
« Tu as raison. » Le Lion réfléchit un instant et dit : « Je ne serai pas moins généreux que les autres. Et quelle est celle de mes dents que veut le marabout ?
– N'importe laquelle, sire, répond Leuk.
– Et bien justement, une dent me fait mal depuis longtemps. Qu'on fasse venir un forgeron pour qu'il l'enlève. »
Ainsi dit, ainsi fait.
Leuk emporte une grosse molaire d'Oncle Gaïndé-le-lion, dont la racine est encore saignante.
Il est impossible à Leuk de jouer à Sègue-le-léopard les mêmes tours qu'à l'Éléphant, à la Baleine et à Oncle Gaïndé-le-lion. Leuk le sait bien et c'est pourquoi, depuis quelques jours, il réfléchit, hésite. Avoir la griffe de Sègue-le-léopard, ce n'est pas une petite affaire.
Leuk finit par se décider. Il ira provoquer Sègue-le-léopard. Il pense que ce dernier, quand il est en colère, perd la tête et tombe souvent dans les pièges qu'on lui tend. En chemin, il monte son plan et le trouve parfait.
C'est midi, l'heure où les bêtes de la forêt font leur sieste. Leuk aperçoit Sègue-le-léopard qui somnole à l'ombre d'un figuier sauvage. Leuk observe qu'en face du figuier sous lequel repose Sègue-le-léopard se trouve un autre figuier. Le tronc de celui-ci est large et tendre.
À pas feutrés3, Leuk va s'y adosser face à Sègue-le-léopard, puis il se baisse, ramasse un gros caillou qu'il lance en direction du fauve endormi.
Au bruit que fait le caillou en tombant, le Léopard se réveille en sursaut. Écarquillant les yeux, il aperçoit Leuk. Alors tout son corps est secoué d'un vif tremblement. Les muscles bandés, il prépare son élan, et d'un bond élastique, il s'élance vers Leuk, toutes griffes dehors. Mais Leuk l'évite en se jetant brusquement de côté.
Sègue-le-léopard se trouve collé au figuier, les griffes enfoncées dans l'écorce. Il fait des efforts douloureux pour les dégager, mais il a les quatre pattes prises comme dans un étau.
Pour augmenter sa colère, Leuk se met à le cravacher4 avec une branche longue et flexible. Puis, au bon moment, il s'éloigne et disparaît dans la forêt.
Il revient peu après. Sègue-le-léopard a réussi à se dégager, mais trois de ses griffes sont restées dans le figuier.
Une gourde.
Un sorcier.
En marchant sans faire de bruit.