« Comment t'appelles-tu, toi ? »
Il répondit : « Simon.
– Simon quoi ? » reprit l'autre.
L'enfant répéta tout confus : « Simon. »
Le gars lui cria : « On s'appelle Simon quelque chose... c'est pas un nom, ça... Simon. »
Et lui, prêt à pleurer, répondit pour la troisième fois :
« Je m'appelle Simon. »
Les galopins se mirent à rire. Le gars triomphant éleva la voix : « Vous voyez bien qu'il n'a pas de papa. »
Un grand silence se fit. Les enfants étaient stupéfaits par cette chose extraordinaire, impossible, monstrueuse – un garçon qui n'a pas de papa ; ils le regardaient comme un phénomène1, un être hors de la nature, et ils sentaient grandir en eux ce mépris, inexpliqué jusque-là, de leurs mères pour la Blanchotte.
Quant à Simon, il s'était appuyé contre un arbre pour ne pas tomber ; et il restait comme atterré par un désastre irréparable. Il cherchait à s'expliquer. Mais il ne pouvait rien trouver pour leur répondre, et démentir cette chose affreuse qu'il n'avait pas de papa. Enfin, livide, il leur cria à tout hasard : « Si, j'en ai un.
– Où est-il ? » demanda le gars.
Simon se tut ; il ne savait pas. Les enfants riaient, très excités ; et ces fils des champs, plus proches des bêtes, éprouvaient ce besoin cruel qui pousse les poules d'une basse-cour à achever l'une d'entre elles aussitôt qu'elle est blessée.
Simon avisa tout à coup un petit voisin, le fils d'une veuve, qu'il avait toujours vu, comme lui-même, tout seul avec sa mère.
« Et toi non plus, dit-il, tu n'as pas de papa.
– Si, répondit l'autre, j'en ai un.
– Où est-il ? riposta Simon.