[...] Le paysan était jaloux. « Je suis marié, se disait-il, c'est fait ; le repentir ne sert à rien... Mais je peux me défendre d'avance, contre tout ce qu'elle pourrait faire ! Si je la bats tous les matins, elle pleurera tellement toute la journée pendant que je serai aux champs que personne ne pourra plus même
penser à lui conter fleurette... Et tous les soirs, quand je
reviendrai, je lui demanderai pardon, je la consolerai... » Il se
résout à cela, le vilain ! Le lendemain, de bonne heure, [...] il
la bat, la bat, tout comme si elle l'avait mérité. Puis il court à
ses champs. Il l'avait bien prévu, sa femme pleure ; elle pleure
sur sa mère morte, hélas ! Elle se maudit d'avoir accepté un
pareil mariage. [...] Mais le lendemain matin, même tintamarre
que la veille. Le paysan la rosse à la volée avant de partir à sa
charrue. Cette fois la femme se dit tout en pleurant : « Pas
possible, il ne sait pas ce que c'est que d'être battu, il ne l'a
sûrement jamais été – s'il savait ce que c'est, il n'agirait tout
de même pas en pareille brute. » Et voilà que passent sur le
chemin deux messagers du roi montés sur des chevaux blancs.
Ils saluent la dame qui leur demande s'ils cherchent
quelque chose ; ils lui répondent que le roi les envoie en
Angleterre pour trouver un médecin. [...]
– Pourquoi en Angleterre ? dit la dame.
– Il faut un très grand médecin. La fille du roi est malade.
Depuis huit jours elle ne peut plus ni manger ni boire, une
arête de poisson lui barre et lui bouche le gosier. Le roi nous
a comm...
– Les bons médecins ne sont pas tous au loin, répète la dame. Mon mari s'y connaît pour les humeurs ; je crois qu'il est aussi savant qu'Hippocrate.
– Vous voulez rire !
– Oh ! non, fait-elle, je n'ai guère cœur à rire... Mais c'est vrai qu'il est drôle, je vous préviens. Il est fait de telle sorte, il est si paresseux qu'on n'obtient rien de lui si on ne le bat pas.