Accroupis, côte à côte, les deux gamins poussent des petites voitures,
une rouge, une noire, une bleue et un beau camion – jaune – à double
remorque.
– Saaandy !
Celle‑ci a ôté son tee‑shirt à l'imitation de son copain, le fils unique des
voisins. Le soleil brûle son dos nu, caresse par en dessous sa poitrine,
effleure furtivement la peau si blanche de n'être jamais exposée. Un bien‑être
mystérieux l'envahit, elle s'amuse, et si douce cette caresse sur la peau
moite. Au moins prolonger cette minute, puis une minute et une autre
encore. Ils ont dix ans tous les deux. Ça ne devrait pas s'arrêter, pas plus
que leurs histoires farcies de péripéties rêvées au fur et à mesure.
– Alors, tu n'aurais plus d'essence et tu devrais attendre que je passe.
– J'aurais un jerrican dans le coffre.
– Non, parce que tu aurais soif en plus. Tu saurais que je vais passer par là.
– D'accord. Mais je ne saurais pas quand. On dirait que j'aurais peur, mais
pas trop quand même.
– Moi, je me tromperais de sens et la voiture de Gold Jack…
– Le camion, tu veux dire.
– Oui. Tu vois, il arriverait de l'autre côté.
– Et moi d'abord, je le verrais pas, et puis je l'entendrais...
Rick tourne autour d'elle en vrombissant de son mieux.
– Saaandy ! N'attends pas que je vienne te chercher...
Non, elle ne répondra pas. Elle ne désire que se vautrer dans cette lumière
brûlante qui nappe ce morceau du monde qui est le sien, la chaleur poisseuse
sur son corps à demi nu, celle qui force au loisir, amollit les contraintes,
étire les jours des grandes vacances en des heures interminables. À quelle
corvée d'ordre ou de ménage Ma veut‑elle la convier ? Plus tard !
– Tu entends ce que je te dis.
Non. Justement, elle n'entend rien. Elle babille, ne relève même pas la tête
pour deviner de loin ce que Ma exige avec tant de virulence. De toutes ses
forces, Sandy se demande ce qu'elle pourrait inventer, afin que ça continue,
même si sa voiture n'a plus d'essence, même si les hors‑la‑loi foncent à sa
rencontre. Son ombre porte loin sur les routes dessinées par leurs genoux
et dans la poudre grise du chemin. De son poing fermé, elle y creuse un
trou, l'embuscade pour le méchant.
– Vilaine fille ! Tu vas m'écouter, non ? Arrête de faire semblant !
Ma a ramassé le vêtement délaissé, l'a jeté sur les épaules de sa petite‑fille.
Sa voix fluette bat des ailes autour de Sandy. Le cœur de celle‑ci bondit
de révolte. Elle ne veut rien comprendre, elle veut continuer à jouer, la
colère impuissante des petits met du noir dans sa tête, elle grommelle des
mots inintelligibles.