Fragments 348 et 416.
L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il
ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit
pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui
le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever et non
de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser :
voilà le principe de la morale.
Ce n'est point de l'espace que je dois chercher ma dignité, mais du règlement de ma pensée.
Je n'aurai pas davantage en possédant des terres : par l'espace, l'univers me comprend et
m'engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends.
A P. R. Grandeur et misère.
La misère se concluant de la grandeur et la grandeur de la misère, les uns ont conclu la
misère d'autant plus qu'ils en ont pris pour preuve la grandeur et les autres concluant la grandeur avec d'autant plus de force qu'ils l'ont conclue de la misère même, tout ce que les uns
ont pu dire pour montrer la grandeur n'a servi que d'un argument aux autres pour conclure
la misère, puisque c'est être d'autant plus misérable qu'on est tombé de plus haut ; et les
autres, au contraire. Ils se sont portés les uns sur les autres par un cercle sans fin, étant certain
qu'à mesure que les hommes ont de lumière ils trouvent et grandeur et misère en l'homme.
En un mot l'homme connaît qu'il est misérable. Il est donc misérable, puisqu'il l'est. Mais
il est bien grand, puisqu'il le connaît.
Fragment 365.
Pensée.
Toute la dignité de l'homme est en la pensée. Mais qu'est‑ce que cette pensée ? Qu'elle
est sotte. La pensée est donc une chose admirable et
incomparable par sa nature. Il fallait qu'elle eût
d'étranges défauts pour être méprisable, mais
elle en a de tels que rien n'est plus ridicule.
Qu'elle est grande par sa nature, qu'elle est
basse par ses défauts.
Fragment 348.
Roseau pensant.
Ce n'est point de l'espace que je dois
chercher ma dignité, mais c'est du règlement
de ma pensée. Je n'aurai point
d'avantage en possédant des terres. Par
l'espace l'univers me comprend et m'engloutit
comme un point, par la pensée je
le comprends.