La deuxième journée se passa comme la première. Les singes ne s'occupèrent de nous que pour nous apporter à manger. J'étais de plus en plus perplexe au sujet de ce bizarre comportement quand, le lendemain, commença pour nous une série de tests, dont le souvenir m'humilie aujourd'hui mais qui me procurèrent alors une distraction.
Le premier me parut tout d'abord assez insolite. Un des gardiens s'approcha de moi, tandis que son compère opérait dans une autre cage1. Mon gorille gardait une main cachée derrière son dos ; de l'autre, il tenait un sifflet. Il me regarda pour attirer mon attention, porta le sifflet à sa bouche et en tira une succession de sons aigüs ; cela, pendant une minute entière. Puis il démasqua son autre main, me montrant avec ostentation2 une de ces bananes dont j'avais apprécié la saveur et dont tous les hommes se montraient friands. Il tint le fruit devant moi, sans cesser de m'observer.
J'allongeai le bras, mais la banane était alors hors de portée et le gorille ne s'approchait pas. Il paraissait déçu et semblait désirer un autre geste. Au bout d'un moment, il se lassa, cacha de nouveau le fruit, et recommença de siffler. J'étais nerveux, intrigué par ces simagrées3 et je faillis perdre patience quand il le brandit encore hors de mon atteinte. Je réussis pourtant à rester calme, essayant de deviner ce qu'il attendait de moi, car il avait l'air de plus en plus surpris, comme devant un comportement anormal. Il refit le même manège cinq ou six fois puis, découragé, passa à un autre prisonnier.
J'eus un net sentiment de frustration quand je constatai que celui-ci recevait la banane, lui, dès la première expérience et il en fut de même du suivant. Je surveillai de près l'autre gorille qui se livrait à la même cérémonie dans la rangée d'en face. Comme il en était arrivé à Nova, je ne perdis aucune des réactions de celle-ci. Il siffla, ensuite brandit un fruit comme son camarade. Aussitôt, la jeune fille s'agita, remuant les mâchoires, et…
La lumière se fit brusquement dans mon esprit. Nova, la radieuse Nova, s'était mise à saliver abondamment à la vue de cette friandise, comme un chien à qui l'on présente un morceau de sucre. C'était ce qu'attendait le gorille ; cela seulement pour aujourd'hui.
J'avais compris, vous dis-je, et je n'en étais pas peu fier ! J'avais entrepris autrefois des études de biologie et les travaux de Pavlov4 n'avaient pas de secrets pour moi. Il s'agissait ici d'expérimenter sur les hommes les réflexes qu'il avait étudiés sur les chiens. Et moi, moi si stupide quelques instants auparavant, maintenant, avec ma raison et ma culture, non seulement je saisissais l'esprit de ce test, mais je prévoyais ceux qui devaient suivre.
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