On habite une petite ville, genre quinze mille habitants, à cheval entre la banlieue et la campagne. Chez nous, il y a
trop de bitume pour qu'on soit de vrais campagnards, mais aussi trop de verdure pour qu'on soit de vraies cailleras. Tout autour, ce sont villages, hameaux, bourgs, séparés par des champs et des forêts. Au regard des villages qui nous entourent, on est des citadins par ici, alors qu'au regard de la grande ville, située à un peu moins de cent kilomètres de là, on est des culs‑terreux. Personnellement je n'y connais rien en agriculture.
Un affluent coupe la ville en deux. Le courant remonte du sud vers le nord, vers la grande ville. La rive est, c'est là qu'il y a les deux cités, les Tours situées sur la colline et les Bâtiments, plus loin, avec le commissariat entre les deux, et puis l'hôpital, la cité scolaire, l'autoroute, la zone d'activité commerciale avec ses magasins tout flingués, ses tout à dix balles et ses marchés discount. La rive ouest, c'est le centre‑ville dès qu'on passe le pont, l'église, une place, quelques cafés, des commerces en difficulté, et puis les rues adjacentes. Ils ont fermé la librairie récemment. Autour d'ici c'est agricole et ouvrier. Ça implique que dans le centre il y ait autant d'agences d'intérim que de boulangeries. Après le centre‑ville, on passe le canal, et puis c'est la gare, et les quartiers résidentiels,
articulés autour de la mairie, la piscine municipale, le stade, le collège privé, le supermarché. Et tout au bout, une autre colline, qui fait face à l'autre, sauf qu'à défaut d'une cité de tours on y trouve des maisons luxueuses. À l'ouest, il y a plusieurs lotissements comme celui dans lequel j'ai grandi et où je vis toujours. Ils communiquent plus ou moins entre eux, les jeunes de là‑bas traînent ensemble. Le nôtre il est à l'écart, plus proche du centre‑ville. Plus à l'est. Ça fait qu'on ne s'est jamais vraiment identifiés aux mecs des pavillons, alors que comme eux on venait des lotissements. Déjà nous, on n'avait pas de scooters. Quand des mecs de là‑bas traînaient avec des mecs de cité, c'était généralement pour les trimballer à droite à gauche avec le leur.
La cité scolaire est située sur la rive est, entre les deux cités de la ville, les Tours et les Bâtiments. Tous les lascars de là‑bas on les retrouvait ici, dans ces deux collèges, et un peu moins dans le lycée. Les trois établissements donnent sur une gare routière, point de convergence.Tout ce qui était règlements de comptes, coups de pression, conciliabules, embrouilles, tout ça, c'était là. Vu que mes potes et moi on était des Pavillons on n'était pas pris au sérieux. Pour ceux des Tours en particulier on se la racontait, parce qu'on s'habillait comme eux, parce qu'on copiait leurs attitudes, alors qu'on avait chacun notre chambre et que nos fringues de marque n'étaient pas tombées du camion. Pas crédibles les mecs, à vouloir jouer les lascars.