Nuit du Walpurgis classique
[...]
Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique1
Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air
De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,
L'air de chasse de Tannhäuser2.
Des chants voilés de cors3
lointains où la tendresse
Des sens étreint l'effroi de l'âme en des accords
Harmonieusement dissonnants dans l'ivresse ;
Et voici qu'à l'appel des cors
S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,
Diaphanes4, et que le clair de lune fait
Opalines5 parmi l'ombre verte des branches,
— Un Watteau6
rêvé par Raffet7 ! —
S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres
D'un geste alangui8, plein d'un désespoir profond ;
Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres9
Très lentement dansent en rond.
— Ces spectres agités, sont‑ce donc la pensée
Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,
Ces spectres agités en tourbe10 cadencée,
Ou bien tout simplement des morts ?
Sont‑ce donc ton remords, ô rêvasseur qu'invite
L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée, — hein ? — tous
Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous ? —
N'importe ! Ils vont toujours, les fébriles fantômes,
Menant leur ronde vaste et morne et tressautant
Comme dans un rayon de soleil des atomes,
Et s'évaporent à l'instant
Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre
Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument
Plus rien — absolument — qu'un jardin de Lenôtre11,
Correct, ridicule et charmant.