Elle meurt cependant, sans autres symptômes que ses soupirs, son silence, le serrement de ses mains. Triomphe de l'amour : « Je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même qu'elle expirait. »
Faut-il considérer, avec F. Deloffre, que les neuf kilomètres parcourus sont un exploit mortel pour une jeune femme élégante ? Mais, depuis un an, Manon ne roule plus carrosse et a connu divers inconforts. Deux ou trois journées de marche auraient rendu vraisemblable cette extinction prématurée. Faut-il penser que, lasse du combat, vidée de ses forces, répondant enfin pleinement à l'idéal féminin que cultive des Grieux, elle se laisse mourir, pour n'être plus ce poids mort – ce fardeau – qui entrave la fuite et ôte au chevalier ses chances de survie, en un sacrifice qui serait l'autre face du désespoir ? [...] Il se trouve que cette mort illustre, sur le mode de l'humour noir, le billet qui autrefois scandalisa des Grieux et qui prend allure de prophétie : « Je rendrais quelque jour le dernier soupir, en croyant en pousser un d'amour. » Extrémité où l'a effectivement menée des Grieux.
Non pas invraisemblable, mais [...] libérant d'autres hypothèses, dont l'une est explicitement formulée : au lendemain de la mort de Manon, le chevalier découvert inanimé est transporté à la ville et soigné, mais accusé de s'être « défait d'elle par un mouvement de rage et de jalousie. » Synnelet obtient sa grâce. Des Grieux meurtrier ? Manon n'a pas donné prise à la jalousie, certes, mais l'hypothèse interfère1 de façon troublante avec les circonstances bizarres – trop romanesques – de la mort, qui n'a pas eu de témoin. Le récit étant en première personne, sa fausseté ne peut en tout cas être prouvée. Tout se passe comme si la voix publique, par l'accusation explicite de meurtre, traduisait le vœu de mort et la haine pour [Manon] qui parcourent l'histoire.
1. Se combine, s'associe.