Il n'est pas inutile de rappeler que l'enquête est au départ « circonstancielle ». C'est en effet en juin 2012, à l'issue d'une conférence-débat à Monville, en proche banlieue parisienne (93), que je rencontre trois jeunes femmes d'origine algérienne. C'est l'aînée, Samira, entourée de deux de ses soeurs, qui s'adresse la première à moi […]. L'échange avec les trois soeurs qui s'ensuit […] est suffisamment riche (notamment sur les éléments de base de l'histoire familiale et les destins sociaux des membres de la fratrie) et chaleureux pour que je leur suggère, à la fin de la soirée, de les revoir afin d'effectuer un entretien individuel avec chacune d'entre elles. Toutes acceptent […].

  La définition de la situation qui va peu à peu se stabiliser lors de ce premier mois d'enquête est la suivante : il leur est dit que je vais essayer de retracer l'histoire de leur famille en France au cours des quarante dernières années. Pour préciser mon intention, je leur dis que je souhaiterais pouvoir raconter « l'histoire ordinaire d'une famille arabe ordinaire en France ». Quelques mois après les massacres commis par Mohamed Merah à Toulouse et un mois après le deuxième tour d'une campagne présidentielle marquée par la campagne à l'extrême droite du président sortant sur le thème de « l'identité nationale » et du « caractère inassimilable des Musulmans ». Cette enquête que je vois alors se profiler – une étude de cas sur une famille algérienne ou une monographie historique de famille immigrée en France – me semble constituer une riposte des sciences sociales à l'hystérie politique autour des immigrés et de « l'intégration » de leurs enfants. […]

  Enfin, je dois ajouter que […] cette recherche […] visait à lutter contre les prénotions. […] En donnant à voir et à comprendre l'histoire dynamique d'une famille algérienne, dont les traits saillants sont à bien des égards semblables à ceux d'une famille populaire « française », l'enquête ethnographique offre la possibilité de proposer une contre image sociale des « Maghrébins » (et par extension des « Musulmans »), à l'opposé de celle, spectaculaire et médiatique, qui s'est diffusée et enkystée dans maints segments de la société française, celle d'un groupe social réputé « inassimilable ». Une représentation qui signerait « l'échec de l'intégration », objet de nombreuses unes d'hebdomadaires français (Le Point, L'Express, Marianne, Valeurs actuelles) et que contredit pourtant l'enquête TeO (« Trajectoires et origines ») de l'Institut national d'études démographiques (Ined), la plus aboutie sur ce sujet.