Sur ma planète, la plupart des gens vivent en ville, s'intéressent aux nouvelles technologies, à la science et aux jeux vidéo. Pour beaucoup, ils ont été à l'université ou dans de grandes écoles et on y croise souvent des journalistes, des développeurs, des designers, des professeurs ou des doctorants. Ma planète partage son avis sur des séries, va au cinéma, écoute de la musique contemporaine, rit aux blagues qui me font rire, pleure quand des tragédies me touchent.
Elle partage avec moi, il me semble, un idéal égalitaire, une volonté de progrès social et d'intégration et des luttes que nous estimons justes — qu'il s'agisse de l'égalité entre les hommes et les femmes, l'accueil des migrants ou l'arrêt des discriminations contre les minorités. […]
Et pourtant, même si ma planète reflète mon monde, elle ne reflète pas le monde. Elle est simplement prise dans ce que l'on appelle une bulle de filtrage : algorithmes et techniques de collectes de données aidant, un cocon numérique s'est créé autour de nous et il est aujourd'hui très difficile d'en sortir. Facebook, le réseau social le plus utilisé au monde, est bien connu pour cela. […]
Le Monde, journal de référence en France, a même ouvert une excellente rubrique nommée Les Décodeurs qui s'attelle, jour après jour, à vérifier des petites phrases ou des théories populaires pour les confirmer, les infirmer ou les préciser. Mais le principal problème auquel fait face une rubrique de ce genre, c'est qu'elle s'adresse, majoritairement, aux convaincus : elle n'atteint pas, massivement, la bulle de filtrage de ceux qui doutent ou répandent les rumeurs analysées.
Et, de leur côté, les supporters de Trump ont aussi eu leur petite bulle de filtrage, alimentée par des médias d'extrême droite, militants, pratiquant en masse ce qu'ils nomment la réinformation, convaincus que le système médiatique est contre eux. Aux États‑Unis, Breitbart est devenu le leader de cette contre pensée qui cherche des boucs émissaires, refuse des théories scientifiques ou tire les faits pour en faire des contre vérités. Le militantisme se fait alors passer pour du journalisme : le fait ne compte plus, c'est le programme qui le remplace.