We Demain : L'homme est-il plus que jamais un prédateur pour sa planète ?
Hubert Reeves : Plus il y a d'humains, plus la technologie évolue, et plus la tentation d'asservir1 la planète est grande. Avec des instruments qui deviennent de plus en plus puissants, l'homme parvient aujourd'hui à faire des choses prodigieuses. Comme réchauffer sa planète, ce qui n'est pas rien, ou acidifier2 l'océan. Ce mouvement a commencé il y a deux cent mille ans. Au début, nos ancêtres n'étaient pas très nombreux, pas très puissants. Mais, peu à peu, ils ont eu un impact de plus en plus ravageur sur leur planète. L'intelligence d'Homo sapiens lui a permis de survivre à une période où il était mal protégé : il a progressé, a appris à se défendre, à fabriquer des armes [...]. Progressivement, cette intelligence est devenue une arme dont il doit désormais reconsidérer la finalité3. Car il a pris conscience qu'elle peut le mettre en péril.
Jean-Louis Étienne : L'homme est un mutant surdoué. Il a, comme le dit Hubert, créé des outils de plus en plus puissants qui impactent gravement la planète. L'animal naît et meurt avec le même « équipement » : plumes, griffes, sens de l'orientation. Il évolue, mais lentement. L'oiseau ne fera jamais l'acquisition du dernier GPS ! L'homme, lui, renouvelle constamment ses armes. […]
We Demain : Là où croît le péril… croît aussi ce qui sauve : le titre de votre dernier livre est-il un acte de foi4 dans l'intelligence humaine ?
H. R. : À la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, on coupait les séquoias5, 60 millions de bisons avaient été massacrés, les baleines étaient menacées… Il y eut alors un groupe d'individus pour penser qu'il ne fallait pas seulement déplorer cette situation, mais faire quelque chose. Ce fut la naissance des grands mouvements écologiques qui arrivèrent en Europe au début du XXe siècle et qui sont à l'origine des conférences de Rio et Copenhague6. L'humanité fut alors assez intelligente pour dire « on ne peut pas continuer comme ça, on est sur la mauvaise voie ». L'homme vivait avec cette idée, déjà présente dans la Bible et reprise par Descartes, qu'il était le chef-d'œuvre de la création et qu'il avait tous les droits ; qu'il devait mettre la nature à son service. Puis on s'est dit qu'il fallait repenser l'humanisme, que l'homme était une espèce parmi d'autres et qu'il dépendait des autres espèces. La règle de la nature veut que si vous ne vivez pas en harmonie avec elle, vous disparaissez.
J.-L. É. : L'homme [...] a l'intelligence des solutions. Il a conscience des problèmes et de ce qu'il est en train d'infliger7 à la planète. À nous de faire en sorte que notre intelligence soit portée par une conscience plus forte que le profit aveugle, qui nous mène droit dans le mur.
We Demain : Quelles implications le « mur », celui de la surchauffe du climat, peut-il avoir sur l'homme et sa planète ?
J.-L. É. : On ne ressent pas le réchauffement climatique : 0,8 degré par siècle, cela demeure imperceptible8. [...] L'Arctique se réchauffe beaucoup plus que les autres régions du monde. Il change de couleur. Il était blanc avec de la glace sur l'océan et de la neige sur le continent : cela renvoyait le rayonnement solaire. On perd le potentiel froid de L'Arctique. On a ouvert la porte du frigo… et on la laisse ouverte ! On va vers des détentes massives et brutales de chaleur accumulée à la surface des océans : les tempêtes tropicales se transforment en cyclone, les inondations se multiplient. Avec la fonte des glaces, le niveau des océans monte : une dysharmonie climatique est enclenchée.
Dont on ne se rend pas compte.