Se payant d'audace, Romain – qui habitait le village de T… – s'était lancé à l'assaut de la muraille dans l'espoir d'atteindre au moins le village de C…, distant de deux kilomètres à vol d'oiseau. Bientôt, incapable d'avancer, il avait dû se résoudre à rebrousser chemin non sans avoir eu le temps d'apercevoir, dans les lointains, la silhouette de Sabine qui le hélait1. À défaut de message concret, ils avaient, en hurlant, échangé leurs prénoms.
S'ils avaient vécu à un autre âge de l'humanité, ils eussent sans doute couru l'un vers l'autre et se seraient passionnément embrassés, quitte à rouler sur place dans l'herbe et les fleurs des champs. Un début d'idylle2 fort banal, en somme, lorsque le soleil fait tourner les têtes et infléchit les résolutions3… Mais, à leur époque, la gangue4 – qui emprisonnait chacune de leurs bourgades5 – interdisait toute velléité6 d'approche et, à moins d'une révolution écologique, il était inconcevable que quoi que ce fût pût abattre un jour la barrière qui les séparait.
Creuser une brèche, dégager un couloir entre les deux patelins7 devint l'idée fixe de Romain. [...]
Le jour, c'est à cela que Romain s'appliquait. Et la nuit…
La nuit, lorsque le sommeil résout les équations contre lesquelles les mathématiques ont buté, il se voyait réuni avec Sabine à l'issue d'un épouvantable cataclysme qui aurait remis la terre à nu…
Ce même songe régulièrement le visitait. La main dans la main, Sabine et lui s'éloignaient dans la campagne vers l'horizon après que le sol eut été nettoyé par une énorme boule de feu.
Dans la réalité, hélas ! le feu du ciel tardait à se manifester.
Las d'attendre et d'espérer en un miracle alors que, de l'autre côté du mur, Sabine s'étiolait8 à dénombrer les jours, les semaines et les mois qui s'étaient écoulés depuis que Romain et elle s'étaient interpellés, le garçon – qui n'avait pas froid aux yeux – décida d'aider la nature.
Il était d'une génération pour qui les lois de la matière n'étaient plus des secrets. Il osa ce que personne avant lui n'avait osé : entamer le processus de désintégration multiple, dont on ne parlait qu'à mots couverts dans les milieux responsables de peur d'exciter la verve9 d'un bricoleur talentueux. Avant de parvenir à provoquer l'explosion qui déblayerait le no man's land entre son village et celui de Sabine. Romain peina en silence sur plus d'un problème ardu10 : mais l'amour fou ou, si l'on préfère, le désir atavique11 de remplir son destin de mâle, décupla ses facultés d'invention.
Lorsqu'on se rendit compte de ce qu'il avait combiné et qu'on voulut l'arrêter, il était déjà trop tard. L'étincelle initiale avait jailli…
Dans une débauche de chaleur et de lumière, la Grande Décharge au complet fut annihilée12 et également, par suite d'une regrettable erreur de calcul sur les effets de la réaction en chaîne, son support : la Terre.
Pour les hommes qui marchaient à ce moment-là sur la Lune, un autre soleil flamba dans les ténèbres.