Argan, très en colère que sa servante se permette de le contredire, appelle sa femme Béline pour qu'elle le console. Celle-ci accourt.
Acte I, scène 6
Béline, Angélique, Toinette, Argan
ARGAN. –
Mamie1, vous êtes toute ma consolation.
BÉLINE. – Pauvre
petit-fils2 !
ARGAN. – Pour tâcher de reconnaître l'amour que vous me portez, je veux, mon cœur, comme je vous ai dit, faire mon testament.
BÉLINE. – Ah mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie ; je ne saurais
souffrir3 cette pensée, et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur.
ARGAN. – Je vous avais dit pour cela de parler à votre notaire.
BÉLINE. – Le voilà là-dedans que j'ai amené avec moi.
ARGAN. – Faites-le donc entrer, m'amour.
BÉLINE. – Hélas ! mon ami, quand on aime bien un mari, on n'est guère en état de songer à tout cela.
Acte I, scène 7
Le Notaire, Béline, Argan
[Le notaire explique quel est le meilleur moyen pour qu'en cas de décès Béline hérite de l'argent d'Argan.] ARGAN. – Ma mie !
BÉLINE. – Oui, mon ami, si je suis assez malheureuse pour vous perdre…
ARGAN. – Ma chère femme !
BÉLINE. – La vie ne me sera plus de rien.
ARGAN. – M'amour !
BÉLINE. – Et je suivrai vos pas, pour vous faire connaître la tendresse que j'ai pour vous.
ARGAN. – Ma mie, vous me fendez le cœur ! Consolez-vous, je vous en prie.
LE NOTAIRE. – Ces larmes sont
hors de saison4 ; et les choses n'en sont point encore là.
BÉLINE. – Ah ! monsieur, vous ne savez pas ce que c'est qu'un mari qu'on aime tendrement.
ARGAN. – Tout le regret que j'aurai, si je meurs, ma mie, c'est de n'avoir
point un enfant de vous5.
Monsieur Purgon6 m'avait dit qu'il m'en ferait faire un.
LE NOTAIRE. – Cela pourra venir encore.
ARGAN. – Il faut faire mon testament, m'amour, de la façon que monsieur dit ; mais, par précaution, je veux vous mettre entre les mains vingt mille francs en or que j'ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets payables au porteur, qui me sont dus, l'un par monsieur Damon, et l'autre par monsieur Gérante.
BÉLINE. – Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah !… Combien dites‑vous qu'il y a dans votre alcôve ?
ARGAN. – Vingt mille francs, m'amour.
BÉLINE. – Ne me parlez point de
bien7, je vous prie. Ah !… De combien sont les deux billets ?
ARGAN. – Ils sont, ma mie, l'un de quatre mille francs, et l'autre de six.
BÉLINE. – Tous les biens du monde, mon ami,
ne me sont rien au prix de vous8.