Acte I, scène 5
Argan, Angélique, Toinette
ARGAN
se met dans sa chaise. – Oh çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu'est-ce que cela ? Vous riez ? Cela est plaisant oui, ce mot de mariage ! Il n'y a rien de plus drôle pour les jeunes filles. Ah ! nature, nature ! À ce que je puis voir, ma fille, je n'ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.
ANGÉLIQUE. – Je dois faire, mon père, tout ce qu'il vous plaira de m'ordonner.
ARGAN. – Je suis bien aise d'avoir une fille si obéissante : la chose est donc conclue, et je vous ai promise.
[Angélique était persuadée que son père parlait de Cléante, le jeune homme dont elle est amoureuse. Mais ce n'est pas le cas ! Argan compte la marier à Thomas Diafoirus, le neveu de son médecin. Elle est sous le choc. Toinette intervient.] TOINETTE. – [...] Quelle est votre raison, s'il vous plaît, pour un tel mariage ?
ARGAN. – Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je le suis, je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin de m'appuyer de bons secours contre ma maladie, d'avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et
d'être à même1 des consultations et des ordonnances.
TOINETTE. – Eh bien, voilà dire une raison, et il y a du plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, monsieur, mettez la main à la conscience ; est-ce que vous êtes malade ?
ARGAN. – Comment, coquine ! si je suis malade ! Si je suis malade,
impudente2 !
TOINETTE. – Eh bien, oui, monsieur, vous êtes malade ; n'ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j'en demeure d'accord, et plus malade que vous ne pensez : voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et, n'étant point malade, il n'est pas nécessaire de lui donner un médecin.
ARGAN. – C'est pour moi que je lui donne ce médecin, et une fille de bon naturel doit être ravie d'épouser ce qui est utile à la santé de son père.
TOINETTE. – Ma foi, monsieur, voulez-vous qu'en amie je vous donne un conseil ?
ARGAN. – Quel est-il, ce conseil ?
TOINETTE. – De ne point songer à ce mariage-là.
ARGAN. – Et la raison ?
TOINETTE. – La raison, c'est que votre fille n'y consentira point.
ARGAN. – Elle n'y consentira point ?
TOINETTE. – Non.
ARGAN. – Ma fille ?
TOINETTE. – Votre fille. Elle vous dira qu'elle n'a que faire de monsieur Diafoirus, de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde.
ARGAN. – J'en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu'on ne pense. Monsieur Diafoirus n'a que ce fils-là pour tout héritier ; et, de plus, monsieur Purgon, qui n'a ni femme ni enfants, lui donne tout son bien en faveur de ce mariage ; et monsieur Purgon est un homme qui a
huit mille bonnes livres de rente3. [...] On dira ce qu'on voudra ; mais je vous dis que je veux qu'elle exécute la parole que j'ai donnée.
TOINETTE. – Non ; je suis sûre qu'elle ne le fera pas.
ARGAN. – Je l'y forcerai bien.
TOINETTE. – Elle ne le fera pas, vous dis-je.
ARGAN. – Elle le fera, ou je la mettrai dans un couvent.