Mon Dieu, quel spectacle ! Quel visage ! D'une couleur sombre, ocre, violacée, recouverte ça et là de grands carrés noirâtres. Oui, c'est bien ce que je pensais, un terrible compagnon de lit ! Il s'est bagarré, a été affreusement balafré2, et le voici devant moi, tout juste revenu d'entre les mains du chirurgien !
Mais au moment où il se tourna vers la lumière, je vis clairement que ces grands carrés noirs qu'il avait sur les joues ne pouvaient pas être des pansements. [Le narrateur se rend compte que ce sont des tatouages.] Après tout ! pensai-je. Il ne s'agit que de son apparence ; on peut être un honnête homme dans n'importe quelle peau. Mais alors que penser de ce teint irréel, je veux dire, là où son visage n'était pas tatoué ? Bien sûr, sa peau pouvait tout simplement être tannée par des années passées sous le soleil des tropiques. Mais je n'avais jamais entendu qu'un soleil brûlant pouvait donner à un homme blanc un teint ocre violacé. Cependant, je n'avais jamais été dans les mers du Sud. Peut-être que là-bas le soleil produisait sur la peau cet effet étrange. Tandis que toutes ces idées fulgurantes me traversaient l'esprit, le harponneur ne remarqua absolument pas ma présence. Ayant enfin ouvert son sac, il se mit à fouiller à l'intérieur et en tira une sorte de tomahawk3 et une petite pochette en peau de phoque. Plaçant tout cela sur le vieux coffre qui se trouvait au milieu de la chambre, il prit alors la tête de Nouvelle-Zélande4, objet pour le moins effrayant, et la fourra dans son sac. Ensuite, il enleva son chapeau – en peau de castor, tout neuf – et là je faillis lâcher un cri de surprise. Il n'avait pas de cheveux, à l'exception d'une sorte de scalp, d'une petite queue de cheval entortillée sur son front. Sa tête chauve, violacée, ressemblait maintenant à un crâne en décomposition. [...]
Il continuait de se déshabiller, et je pus voir sa poitrine et ses bras. Je vous le jure : ces parties de son corps étaient couvertes des mêmes carrés sombres que son visage ; son dos, également. On aurait dit qu'il venait de s'enfuir d'une guerre de Trente Ans, avec de larges pansements en guise de chemise. Ses jambes aussi étaient couvertes de marques, comme si des colonies de grenouilles vert sombre grimpaient sur des troncs de jeunes palmiers. J'en étais sûr, à présent : il devait s'agir de quelque sauvage abominable, embarqué à bord d'un baleinier dans les mers du Sud, et qui s'était retrouvé de la sorte sur cette terre chrétienne.
L'instant d'après, la lumière était éteinte et ce sauvage cannibale, le tomahawk entre les dents, sauta dans le lit près de moi. Cette fois-ci, je ne pus me retenir d'hurler et lui, après avoir émis un grognement d'étonnement, se mit à me palper. Bafouillant quelque chose, je ne sais même pas quoi, je me roulai contre le mur pour m'éloigner de lui et je suppliai cet homme ou cette chose de rester tranquille, de me laisser me lever et rallumer la lampe. Ses réponses gutturales5 m'indiquèrent aussitôt qu'il ne comprenait pas vraiment ce que je voulais.
– Vous qui, hein ? finit-il par dire. Vous parler… ah, moi tuer !
Qui viennent du fond de la gorge.