Gary est pilote d'avion dans les Forces françaises libres (armée de résistance fondée par le général de Gaulle). En mission en Lybie, il contracte la typhoïde, une forme très grave de fièvre. Il est mourant.
Mais j'étais mauvais joueur. Je refusais de me reconnaître vaincu. Je ne m'appartenais pas. Il me fallait tenir ma promesse, revenir à la maison couvert de gloire après cent combats victorieux, écrire Guerre et Paix1, devenir ambassadeur de France, bref, permettre au talent de ma mère de se manifester.
[La guerre est terminée, la France est libérée. Le narrateur entre à Nice avec les troupes alliées. Une seule chose alors lui importe : revoir sa mère...]
J'avais fait prévenir ma mère de mon retour par dix messages différents qui avaient dû converger sur elle de tous côtés quelques heures à peine après l'entrée à Nice des troupes alliées. [...] Le ruban vert et noir de la Libération bien en évidence sur ma poitrine, au-dessus de la Légion d'honneur, de la Croix de Guerre et de cinq ou six autres médailles dont je n'avais oublié aucune, les galons de capitaine sur les épaules de mon battledress2 noir, la casquette sur l'œil, l'air plus dur que jamais, à cause de la paralysie faciale3, mon roman en français et en anglais dans la musette4 bourrée de coupures de presse et, dans ma poche, la lettre qui m'ouvrait les rangs de la Carrière5, avec juste ce qu'il fallait de plomb dans le corps pour faire le poids, ivre d'espoir, de jeunesse, de certitude et de Méditerranée [...], je revenais à la maison après avoir démontré l'honorabilité du monde, après avoir donné une forme et un sens au destin d'un être aimé.
Des G.I.6 noirs, assis sur les pierres, avec des sourires si grands et si étincelants qu'ils en paraissaient éclairés de l'intérieur, comme si la lumière leur venait du cœur, levaient les mitraillettes en l'air à notre passage, et leur rire amical avait toute la joie et le bonheur des promesses tenues :
– Victory, man, victory ! [...]
Je devrais interrompre ici ce récit. Je n'écris pas pour jeter une ombre plus grande sur la terre. Il m'en coûte de continuer et je vais le faire le plus rapidement possible, en ajoutant vite ces quelques mots, pour que tout soit fini et pour que je puisse laisser retomber ma tête sur le sable, au bord de l'Océan, dans la solitude de Big Sur7 où j'ai essayé en vain de fuir la promesse de finir ce récit.
À l'Hôtel-Pension Mermonts où je fis arrêter la jeep, il n'y avait personne pour m'accueillir. On y avait vaguement entendu parler de ma mère, mais on ne la connaissait pas. Mes amis étaient dispersés. Il me fallut plusieurs heures pour connaître la vérité. Ma mère était morte trois ans et demi auparavant, quelques mois après mon départ pour l'Angleterre.
Mais elle savait bien que je ne pouvais pas tenir debout sans me sentir soutenu par elle et elle avait pris ses précautions.
Au cours des derniers jours qui avaient précédé sa mort, elle avait écrit près de deux cent cinquante lettres, qu'elle avait fait parvenir à son amie en Suisse. Je ne devais pas savoir [...].
Je continuai donc à recevoir de ma mère la force et le courage qu'il me fallait pour persévérer, alors qu'elle était morte depuis trois ans.
Le cordon ombilical avait continué à fonctionner.
Roman très célèbre de l'écrivain russe Léon Tolstoï.
Désigne l'uniforme de l'armée britannique, adopté par de nombreux Alliés.
Séquelle de la typhoïde.
Sac de toile.
Il s'agit de la carrière diplomatique : à la fin de la guerre, Gary reçoit une lettre du ministère des Affaires étrangères lui offrant de devenir secrétaire d'ambassade « pour services exceptionnels rendus à la cause de la Libération ».
Soldats américains.
Sur la côte californienne.