Les fleurs, les herbes, les pierres, les mouches, tous les
secrets de nature, il y en aurait eu bien assez pour m'occuper
et pour me divertir, moi qui aime à vaguer1 et à fureter partout.
J'aurais toujours été seule, sans connaître l'ennui ; car mon plus
grand plaisir est d'aller dans les endroits qu'on ne fréquente
point et d'y rêvasser à cinquante choses dont je n'entends
jamais parler aux personnes qui se croient bien sages et bien
avisées. Si je me suis laissé attirer dans le commerce de mon
prochain2, c'est par l'envie que j'avais de rendre service avec
les petites connaissances qui me sont venues et dont ma
grand'mère elle-même fait souvent son profit sans rien dire.
Eh bien, au lieu d'être remerciée honnêtement par tous les
enfants de mon âge dont je guérissais les blessures et les
maladies, et à qui j'enseignais mes remèdes sans demander
jamais de récompense, j'ai été traitée de sorcière, et ceux qui
venaient bien doucement me prier quand ils avaient besoin de
moi, me disaient plus tard des sottises à la première occasion.
Cela me courrouçait3, et j'aurais pu leur nuire, car si je sais
des choses pour faire du bien, j'en sais aussi pour faire du
mal ; et pourtant je n'en ai jamais fait usage ; je ne connais
point la rancune, et si je me venge en paroles, c'est que je suis
soulagée en disant tout de suite ce qui me vient au bout de
la langue, et qu'ensuite je n'y pense plus et pardonne, ainsi
que Dieu le commande. Quant à ne prendre soin ni de ma personne ni de mes manières, cela devrait montrer que je ne
suis pas assez folle pour me croire belle, lorsque je sais que
je suis si laide que personne ne peut me regarder. On me l'a
dit assez souvent pour que je le sache ; et, en voyant combien
les gens sont durs et méprisants pour ceux que le bon Dieu
a mal partagés, je me suis fait un plaisir de leur déplaire, me
consolant par l'idée que ma figure n'avait rien de repoussant
pour le bon Dieu et pour mon ange gardien, lesquels ne me la
reprocheraient pas plus que je ne la leur reproche moi-même.
Aussi, moi, je ne suis pas comme ceux qui disent : Voilà une
chenille, une vilaine bête ; ah ! qu'elle est laide ! il faut la tuer !
Moi, je n'écrase pas la pauvre créature du bon Dieu, et si la
chenille tombe dans l'eau, je lui tends une feuille pour qu'elle
se sauve. Et à cause de cela on dit que j'aime les mauvaises
bêtes et que je suis sorcière, parce que je n'aime pas à faire
souffrir une grenouille, à arracher les pattes à une guêpe et à
clouer une chauve-souris vivante contre un arbre. Pauvre bête,
que je lui dis, si on doit tuer tout ce qui est vilain, je n'aurais
pas plus que toi le droit de vivre.
Se promener sans but.
Côtoyer d'autres personnes.
Énervait.