« Partir ! Oh ! oui, partir, partir seul, n'importe où ! Et là-bas, je
serais tranquille, je travaillerais. » Il savait qu'il ne partirait pas :
il s'abandonnait avec d'autant plus de fougue à son rêve. Il s'était
tu. Mais il reprit presque aussitôt, avec un sourire pénible :
« Et, de là-bas, oui, peut-être, mais de là-bas seulement, je
pourrais leur pardonner. » [...]
D'ailleurs, à quoi correspondait cette idée de pardon ?
Jacques lui-même ne le savait pas au juste, bien qu'il se
heurtât1 sans cesse à cette alternative : pardonner, ou bien, au
contraire, exalter son ressentiment ; accepter, s'agréger2, être un
rouage parmi d'autres rouages ; ou bien, au contraire, stimuler
les forces de destruction qui s'agitaient en lui, se jeter, de toute
sa rancune, contre... – il n'aurait su dire quoi – contre l'existence
toute faite, la morale, la famille, la société ! Rancune ancienne,
qui datait de son enfance ; sentiment confus d'avoir été un être
méconnu, auquel étaient dus certains égards3, et auquel, sans
répit, tout le genre humain avait manqué4. Oui, à coup sûr, s'il
avait jamais pu s'évader, il l'aurait trouvé enfin, cet équilibre
intérieur qu'il accusait les autres de lui rendre impossible !
Même s'il réfléchissait.