Le Destin appartient à une troupe de comédiens
ambulants. Après qu'Angélique, la fille d'une des
comédiennes, a été enlevée, il part à la poursuite de
ses ravisseurs.
Le soleil donnait à plomb sur nos antipodes1
, et ne prêtait à sa sœur2
qu'autant de lumière qu'il lui en fallait pour se
conduire dans une nuit fort obscure. Le silence régnait sur
toute la terre, si ce n'était dans les lieux où se rencontraient
des grillons, des hiboux et des donneurs de sérénades.
Enfin, tout dormait dans la nature, ou du moins tout devait
dormir, à la réserve de quelques poètes qui avaient dans la
tête des vers difficiles à tourner ; de quelques malheureux
amants ; de ceux qu'on appellent âmes damnées ; et de
tous les animaux, tant raisonnables que brutes, qui, cette
nuit-là, avaient quelque chose à faire. Il n'est pas nécessaire
de vous dire que le Destin était du nombre de ceux qui ne
dormaient pas, non plus que les ravisseurs de mademoiselle
Angélique, qu'il poursuivait autant que pouvait galoper un
cheval à qui les nuages dérobaient souvent la faible clarté
de la lune. [...] Notre généreux comédien courait donc
après ces ravisseurs avec plus de vitesse et plus d'animosité
que les Lapithes3 ne coururent après les Centaures.
Il suivit d'abord une longue allée sur laquelle répondait
la porte du jardin par où Angélique avait été enlevée,
et, après avoir galopé quelque temps, il enfila au hasard
un chemin creux, comme le sont la plupart de ceux du
Maine4. Ce chemin était plein d'ornières et de pierres,
et, quoiqu'il fît clair de lune, l'obscurité y était si grande, que le Destin ne pouvait faire aller son cheval plus vite que le pas. Il maudissait intérieurement un si mauvais chemin, quand il se sentit sauter en croupe5
quelque homme ou quelque
diable qui lui passa les bras autour du col. Le Destin eut grand'peur et son cheval
en fut si fort effrayé, qu'il l'eût jeté par terre si le fantôme qui l'avait investi, et qui le tenait embrassé6, ne l'eût affermi dans la selle. Son cheval s'emporta comme un cheval qui avait peur, et le Destin le hâta à coups d'éperons, sans savoir ce qu'il faisait, fort mal satisfait de sentir deux bras nus autour de son col, et contre sa joue
un visage froid qui soufflait par reprise à la cadence du galop du cheval. La
carrière7
fut longue, parce que ce chemin n'était pas court. Enfin, à l'entrée d'une lande, le
cheval modéra sa course impétueuse, et le Destin sa peur ; car on s'accoutume, à la
longue, aux maux les plus insupportables. La lune luisait alors assez pour lui faire
voir qu'il avait un grand homme nu en croupe, et un vilain visage auprès du sien.
Il ne lui demanda point qui il était ; je ne sais si ce fut par discrétion. Il fit toujours
continuer le galop à son cheval qui était fort essoufflé ; et lorsqu'il l'espérait le
moins, le cavalier croupier se laissa tomber à terre et se mit à rire.
Lieux de la Terre diamétralement opposés.
Leur roi refusa de partager son héritage avec
son demi‑frère Centaure, ce qui déclencha une guerre entre les deux peuples.