Son bras se leva vers l'Orient, – vers ces plaines immenses où le blé futur
sera nourri de cadavres.
Je pensai1 : « Ainsi il se soumet. Voilà donc tout ce qu'ils savent faire. Ils
se soumettent tous. Même cet homme-là. »
Le visage de ma nièce me fit peine. Il était d'une pâleur lunaire. Les lèvres,
pareilles aux bords d'un vase d'opaline, étaient disjointes, elles esquissaient la moue tragique des masques grecs. Et je vis, à la limite du front et de la chevelure,
non pas naître, mais jaillir, – oui, jaillir, – des perles de sueur.
Je ne sais si Werner von Ebrennac le vit. Ses pupilles, celles de la jeune fille,
amarrées comme, dans le courant, la barque à l'anneau de la rive, semblaient
l'être par un fil si tendu, si raide, qu'on n'eût pas osé passer un doigt entre
leurs yeux. Ebrennac d'une main avait saisi le bouton de la porte. De l'autre,
il tenait le chambranle. Sans bouger son regard d'une ligne, il tira lentement
la porte à lui. Il dit, – sa voix était étrangement dénuée d'expression :
– Je vous souhaite une bonne nuit2.
Je crus qu'il allait fermer la porte et partir. Mais non. Il regardait ma nièce.
Il la regardait. Il dit, – il murmura :
– Adieu.
Il ne bougea pas. Il restait tout à fait immobile, et dans son visage immobile
et tendu, les yeux étaient plus encore immobiles et tendus, attachés aux
yeux, – trop ouverts, trop pâles, – de ma nièce. Cela dura, dura, – combien
de temps ? – dura jusqu'à ce qu'enfin, la jeune fille remuât les lèvres. Les yeux
de Werner brillèrent.
J'entendis :
– Adieu.
Il fallait avoir guetté ce mot pour l'entendre, mais enfin je l'entendis.
Von Ebrennac aussi l'entendit, et il se redressa, et son visage et tout son corps
semblèrent s'assoupir comme après un bain reposant.
Et il sourit, de sorte que la dernière image que j'eus de lui fut une image
souriante.
Et la porte se ferma et ses pas s'évanouirent au fond de la maison.
Il était parti quand, le lendemain, je descendis prendre ma tasse de lait
matinale. Ma nièce avait préparé le déjeuner, comme chaque jour. Elle me
servit en silence. Nous bûmes en silence. Dehors luisait au travers de la brume
un pâle soleil. Il me sembla qu'il faisait très froid.
L'oncle est le narrateur de la nouvelle.
C'est par cette phrase que l'officier allemand terminait,
chaque soir, chacun de ses monologues.