Au plafond du théâtre une roue tourne comme sur un axe, qui en traverserait le
diamètre.
Béatrice, suspendue par les cheveux et poussée par un garde qui lui tire les bras en
arrière, marche selon l'axe de la roue.
Tous les deux ou trois pas qu'elle fait, un cri monte avec un bruit de treuil, de roue
qu'on tourne, ou de poutres écartelées, venant d'un coin différent de la scène.
La prison dégage le bruit d'une usine en plein mouvement.
BÉATRICE. – BERNARDO.
BERNARDO. – Tu les entends… Pas un coin de cette prison maudite où l'on
s'arrête de tourmenter.
BÉATRICE. – L'étonnant est que vous ayez pu attendre de cette prison qui
s'appelle vivre autre chose que des tourments.
Bernardo, comme ivre d'admiration, s'avance vers Béatrice. Lui aussi a les mains
liées, mais ses pieds sont libres. Il la précède et tourne autour d'elle, et décrit en parlant
un cercle complet.
BERNARDO. – Béatrice, j'ignore quel sort nous est à tous deux réservé, mais
depuis que je te vois vivre, je peux te dire qu'une âme comme la tienne, jamais
mon âme ne pourra l'oublier.
Un temps. Béatrice continue à tourner.
BÉATRICE. – Adieu. Pleure, mais ne désespère pas. Pour l'amour de toi‑même,
je t'en conjure, sois fidèle à l'amour que tu m'as voué.
La roue tourne. La prison crie.
Je te laisse comme un vieux legs les paroles d'une musique qui guérissent du
mal d'exister.
Une musique très douce et très dangereuse s'élève.
Comme un dormeur qui trébuche, égaré
dans les ténèbres d'un rêve plus atroce
que la mort même,
hésite avant de rouvrir la paupière
car il sait qu'accepter de vivre,
c'est renoncer à se réveiller.
Ainsi, avec une âme marquée
des tares que m'a values la vie,
je rejette vers le dieu qui m'a faite
cette âme comme un incendie
qui le guérisse de créer.
Le soldat s'est arrêté, et il pleure.
On entend un remue‑ménage dans les caves de la prison.
BERNARDO. – Ils1 viennent.