Quatre lanternes étaient plantées là, et les réflecteurs, qui jetaient toute la lumière sur le puits, éclairaient vivement les rampes de fer, les leviers des signaux et des verrous, les madriers1 des guides, où glissaient les deux cages2. Le reste, la vaste salle, pareille à une nef d'église, se noyait, peuplée de grandes ombres flottantes. Seule, la lampisterie3 flambait au fond, tandis que, dans le bureau du receveur, une maigre lampe mettait comme une étoile près de s'éteindre. L'extraction venait d'être reprise ; et, sur les dalles de fonte, c'était un tonnerre continu […].
Un instant, Étienne resta immobile, assourdi, aveuglé. Il était glacé, des courants d'air entraient de partout. Alors, il fit quelques pas, attiré par la machine, dont il voyait maintenant luire les aciers et les cuivres. Elle se trouvait en arrière du puits, à vingt‑cinq mètres, dans une salle plus haute, et assise si carrément sur son massif de briques, qu'elle marchait à toute vapeur, de toute sa force de quatre cents chevaux, sans que le mouvement de sa bielle4 énorme, émergeant et plongeant avec une douceur huilée, donnât un frisson aux murs. […]
Il ne comprenait bien qu'une chose : le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer. Dès quatre heures, la descente des ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la main, attendant par petits groupes d'être en nombre suffisant. Sans un bruit, d'un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du noir, se calait sur les verrous, avec ses quatre étages contenant chacun deux berlines5 pleines de charbon. Des moulineurs6, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à l'avance des bois de taille. Et c'était dans les berlines vides que s'empilaient les ouvriers, cinq par cinq, jusqu'à quarante d'un coup, lorsqu'ils tenaient toutes les cases. Un ordre partait du porte‑voix, un beuglement sourd et indistinct, pendant qu'on tirait quatre fois la corde du signal d'en bas, « sonnant à la viande », pour prévenir de ce chargement de chair humaine. Puis, après un léger sursaut, la cage plongeait silencieuse, tombait comme une pierre, ne laissait derrière elle que la fuite vibrante du câble. […]
Pendant une demi‑heure, le puits en dévora de la sorte, d'une gueule plus ou moins gloutonne, selon la profondeur de l'accrochage où ils descendaient, mais sans un arrêt, toujours affamé, de boyaux géants capables de digérer un peuple. Cela s'emplissait, s'emplissait encore, et les ténèbres restaient mortes, la cage montait du vide dans le même silence vorace.