Dans la torture de cette vie, où elle souffrait mort et passion,
Germinie, cherchant à étourdir les horreurs de sa pensée, était
revenue au verre qu'elle avait pris un matin des mains d'Adèle
et qui lui avait donné toute une journée d'oubli. De ce jour, elle
avait bu. Elle avait bu à ces petites lichades1 matinales des bonnes de femmes entretenues2. Elle avait bu avec l'une, elle avait bu
avec l'autre. Elle avait bu avec des hommes qui venaient déjeuner
chez la crémière ; elle avait bu avec Adèle qui buvait comme un
homme et qui prenait un vil plaisir à voir descendre aussi bas
qu'elle cette bonne de femme honnête.
D'abord, elle avait eu besoin, pour boire, d'entrainement, de
société, du choc des verres, de l'excitation de la parole, de la chaleur des défis ; puis bientôt, elle était arrivée à boire seule. C'est
alors qu'elle avait bu dans le verre à demi plein, remonté sous
son tablier et caché dans un recoin de la cuisine ; qu'elle avait
bu solitairement et désespérément ces mélanges de vin blanc et
d'eau‑de‑vie qu'elle avalait coup sur coup jusqu'à ce qu'elle y eût
trouvé ce dont elle avait soif : le sommeil. [...]
Dormir de ce sommeil écrasant, rouler, le jour, dans cette
nuit, cela était devenu pour elle comme la trêve et la délivrance
d'une existence qu'elle n'avait plus le courage de continuer ni
de finir. Un immense besoin de néant, c'était tout ce qu'elle éprouvait dans
l'éveil. Les heures de sa vie qu'elle vivait de sang‑froid, en se voyant elle‑même,
en regardant dans sa conscience, en assistant à ces hontes, lui semblaient si
abominables ! Elle aimait mieux les mourir. Il n'y avait plus que le sommeil au
monde pour lui faire tout oublier, le sommeil congestionné de l'Ivrognerie qui
berce avec les bras de la Mort.
Là, dans ce verre, qu'elle se forçait à boire et qu'elle vidait avec frénésie, ses
souffrances, ses douleurs, tout son horrible présent allait se noyer, disparaitre.
[...]« Je bois mes embêtements » avait‑elle répondu à une femme qui lui avait
dit qu'elle s'abimerait la santé à boire. Et comme dans les réactions qui suivaient ses ivresses, il lui revenait un plus douloureux sentiment d'elle‑même,
une désolation et une détestation plus grandes de ses fautes et de ses malheurs,
elle cherchait des alcools plus forts, de l'eau‑de‑vie plus dure, elle buvait jusqu'à
de l'absinthe3 pure pour tomber dans une léthargie4 plus inerte, et faire plus
complet son évanouissement à toutes choses.
Elle finit par atteindre ainsi à des moitiés de journée d'anéantissement, dont
elle ne sortait qu'à demi éveillée avec une intelligence stupéfiée, des perceptions
émoussées, des mains qui faisaient des choses par habitude, des gestes de somnambule, un corps et une âme où la pensée, la volonté, le souvenir semblaient
avoir encore la somnolence et le vague des heures confuses du matin.
Torpeur, somnolence.