Ce qui, dans cette apparition subite, avait le plus épouvanté Lucia, c'est que, à son costume, à sa verte coiffure, à sa parure couleur de sang, et, surtout, à sa faucille1 d'or, elle avait reconnu une druidesse2… Or, elle se souvenait que semblable rencontre, la nuit, au cœur même du bois sacré interdit aux profanes3, était le pire des dangers…
Sans avoir jamais encore habité la Gaule4 ni frayé personnellement avec les prêtresses d'Hésus5, elle n'ignorait pas – combien de fois n'avait-elle pas entendu raconter ces légendes ! – qu'on ne fléchit point la colère de
celles qui sont accoutumées de lire les secrets de la vie dans les entrailles6 palpitantes encore des victimes égorgées… Pour sûr, celle-là ne serait pas moins implacable, pas moins terrible que ses sœurs… Déjà, la façon dont elle plissait son front, illuminé par la lune d'on ne sait quel rayonnement sinistre, les éclairs, pleins de menaces, qui luisaient dans ses yeux, à l'aspect des trois sacrilèges7, surpris en flagrant délit, ne pouvaient laisser aucun doute, semblait-il, sur ses sentiments et ses intentions…
Puis, elle ne devait pas être seule… Sans doute, derrière les buissons, se cachait la foule des druides, des bardes et des ovates8, n'attendant qu'un signal pour se précipiter sur les coupables et les punir cruellement de leur crime de lèse-majesté divine…
Lucia se crut perdue, avec ses deux compagnons…
Non pas qu'elle eût peur de la mort, la courageuse enfant… Mais, ce qui lui saignait le cœur et lui causait cette angoisse, c'était cette pensée qu'ils allaient périr tous les trois sous les coups de ceux de leur race, déshérités et proscrits comme eux-mêmes, sans même pouvoir dire qui ils étaient, sans même pouvoir leur faire connaître leurs malheurs et leurs espérances…
Être tué n'est rien pour qui, d'avance, a fait le sacrifice de sa vie : mais, être tué par ses frères, auprès desquels on était venu chercher un refuge et des auxiliaires pour l'œuvre commune, il y a là de quoi réduire au désespoir les caractères les plus fermes et les âmes les mieux trempées…
Puis, qui poursuivrait l'œuvre de vengeance solennellement jurée à l'aïeul, sur lequel venait de se refermer le tombeau ? Qui protégerait Viridomar9 et Cativolca10, perdus là-bas, au fond du bois, dans leur prison de granit ? Si, encore, on avait pu s'en aller du côté où, tout à l'heure, retentissait un fracas de bataille, où resplendissaient des lueurs d'incendie… Si, encore, on était tombé dans une embuscade romaine, et non pas entre les mains de Gaulois fanatisés par des superstitions sanguinaires !… On aurait eu, du moins, cette suprême consolation de pouvoir vendre chèrement sa vie… Pendant quelques secondes – qui durent lui paraître longues comme des siècles – toutes ces réflexions amères tourbillonnèrent dans le cerveau de Lucia…