C'était une victoire inespérée : Denise avait enfin conquis le rayon. Après s'être jadis débattue pendant près de dix mois, au milieu de ses tourments de souffre-douleur, sans lasser le mauvais vouloir de ses camarades, elle venait en quelques semaines de les dominer, de les voir autour d'elle souples et respectueuses. La brusque tendresse de Madame Aurélie l'avait beaucoup aidée, dans cette ingrate besogne1 de se concilier les cœurs ; on racontait tout bas que la première était la complaisante2 de Mouret, qu'elle lui rendait des services délicats ; et elle prenait si chaudement la jeune fille sous sa protection, qu'on devait en effet la lui recommander, d'une façon spéciale. Mais celle-ci avait également travaillé de tout son charme pour désarmer ses ennemies. La tâche était d'autant plus rude, qu'il lui fallait se faire pardonner sa nomination au poste de seconde. Ces demoiselles criaient à l'injustice, l'accusaient d'avoir gagné ça au dessert3, avec le patron ; même elles ajoutaient des détails abominables. Malgré leurs révoltes pourtant, le titre de seconde agissait sur elles, Denise prenait une autorité qui étonnait et pliait les plus hostiles. Bientôt, elle trouva des flatteuses, parmi les dernières venues. Sa douceur et sa modestie achevèrent la conquête. Marguerite se rallia. Et Clara seule continua de se montrer mauvaise, risquant encore l'ancienne injure de « mal peignée », qui maintenant n'égayait4 personne. Pendant la courte fantaisie de Mouret, elle en avait abusé pour lâcher la besogne, d'une paresse bavarde et vaniteuse ; puis, comme il s'était lassé tout de suite, elle ne récriminait5 même pas, incapable de jalousie dans la débandade galante de son existence, simplement satisfaite d'en tirer le bénéfice d'être tolérée à ne rien faire. Seulement, elle considérait que Denise lui avait volé la succession de Madame Frédéric.