1. […] Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? Mais pour lui présenter un
autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les
plus délicates. Qu'un ciron1 lui offre dans la petitesse de son corps des parties
incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans
ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs2 dans ce sang, des gouttes dans
ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières
choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut
arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut‑être que c'est là
l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme3 nouveau.
Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on
peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie
une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la
même proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfin
des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant
encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans
ces merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans
l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse,
un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ? […]
6. L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un
roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une
vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand4 l'univers l'écraserait,
l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt ;
et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. […] Travaillons donc à bien
penser. Voilà le principe de la morale.
7. Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes
sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa
grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un
et l'autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre. […]
9. Je blâme également, et ceux qui prennent parti de louer l'homme, et ceux
qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir ; et je ne puis
approuver que ceux qui cherchent en gémissant.
Éléments censés garantir l'équilibre du corps humain,
selon une théorie antique très influente au XVII
siècle.