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Chapitre 2.4
Texte A

Marie‑Catherine d'Aulnoy, Contes nouveaux ou Les fées à la mode (1698)

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Texte

Le Nain jaune


Il était une fois une reine, à laquelle il ne resta, de plusieurs enfants qu'elle avait eus, qu'une fille qui en valait plus de mille. Mais sa mère se voyant veuve, et n'ayant rien au monde de si cher que cette jeune princesse, elle avait une si terrible appréhension de la perdre qu'elle ne la corrigeait point de ses défauts ; de sorte que cette merveilleuse personne, qui se voyait d'une beauté plus céleste que mortelle, et destinée à porter une couronne, devint si fière et si entêtée de ses charmes naissants, qu'elle méprisait tout le monde.

La reine sa mère aidait, par ses caresses et par ses complaisances, à la persuader qu'il n'y avait rien qui pût être digne d'elle ; on la voyait presque toujours vêtue en Pallas ou en Diane1, suivie des premières dames de la cour habillées en nymphes2. Enfin, pour donner le dernier coup à sa vanité, la reine la nomma Toute‑Belle, et l'ayant fait peindre par les plus habiles peintres, elle envoya son portrait chez plusieurs rois, avec lesquels elle entretenait une étroite amitié. Lorsqu'ils virent ce portrait, il n'y en eut aucun qui se défendît du pouvoir inévitable de ses charmes : les uns en tombèrent malades, les autres en perdirent l'esprit, et les plus heureux arrivèrent en bonne santé auprès d'elle – mais sitôt qu'elle parut, devinrent ses esclaves.

Il n'a jamais été une cour plus galante et plus polie. Vingt rois, à l'envi, essayaient de lui plaire ; et après avoir dépensé trois ou quatre cents millions à lui donner seulement une fête, lorsqu'ils en avaient tiré un « cela est joli », ils se trouvaient trop récompensés. Les adorations qu'on avait pour elle ravissaient la reine ; il n'y avait point de jour qu'on ne reçût à sa cour sept ou huit mille sonnets, autant d'élégies, de madrigaux3 et de chansons, qui étaient envoyés par tous les poètes de l'univers. Toute‑Belle était l'unique objet de la prose et de la poésie des auteurs de son temps, l'on ne faisait jamais de feux de joie qu'avec ces vers, qui pétillaient et brûlaient mieux qu'aucune sorte de bois.

La princesse avait déjà quinze ans, personne n'osait prétendre à l'honneur d'être son époux, et il n'y avait personne qui ne désirât de le devenir. Mais comment toucher un cœur de ce caractère ? On se serait pendu cinq ou six fois par jour pour lui plaire, qu'elle aurait traité cela de bagatelle. Ses amants murmuraient fort contre sa cruauté et la reine, qui voulait la marier, ne savait comment s'y prendre pour l'y résoudre. « Ne voulez‑vous pas, lui disait‑elle quelquefois, rabattre un peu de cet orgueil insupportable qui vous fait regarder avec mépris tous les rois qui viennent à notre cour ? Je veux vous en donner un, vous n'avez aucune complaisance pour moi ? – Je suis si heureuse, lui répondait Toute‑Belle, permettez‑moi, madame, que je demeure dans une tranquille indifférence ; si je l'avais une fois perdue, vous pourriez en être fâchée. – Oui, répliquait la reine, j'en serais fâchée si vous aimiez quelque chose au‑dessous de vous : mais voyez ceux qui vous demandent, et sachez qu'il n'y en a point ailleurs qui les valent ».

Incertaine de ce qu'elle devait faire, elle fut toute seule chercher une célèbre fée, qu'on appelait la fée du désert ; mais il n'était pas aisé de la voir, car elle était gardée par des lions. La reine y aurait été bien empêchée, si elle n'avait pas su, depuis longtemps, qu'il fallait leur jeter du gâteau fait de farine de millet4, avec du sucre candi et des œufs de crocodiles : elle pétrit elle‑même ce gâteau et le mit dans un petit panier à son bras. Comme elle était lasse d'avoir marché si longtemps, n'y étant point accoutumée, elle se coucha au pied d'un arbre pour prendre quelque repos : insensiblement elle s'assoupit. Mais en se réveillant, elle trouva seulement son panier : le gâteau n'y était plus ; et, pour comble de malheur, elle entendit les grands lions venir, qui faisaient beaucoup de bruit, car ils l'avaient sentie.

« Hélas ! que deviendrai‑je ? s'écria‑t‑elle douloureusement. Je serai dévorée. » Elle pleurait, et n'ayant pas la force de faire un pas pour se sauver, elle se tenait contre l'arbre où elle avait dormi. En même temps elle entendit : « Chet, chet, hem, hem. » Elle regarde de tous côtés en levant les yeux : elle aperçoit sur l'arbre un petit homme qui n'avait qu'une coudée5 de haut. Il mangeait des oranges et lui dit : « Oh ! reine, je vous connais bien, et je sais la crainte où vous êtes que les lions ne vous dévorent ; ce n'est pas sans raison que vous avez peur, car ils en ont dévoré bien d'autres, et pour comble de disgrâce, vous n'avez point de gâteau. – Il faut me résoudre à la mort, dit la reine en soupirant. Hélas, j'y aurais moins de peine si ma chère fille était mariée ! – Quoi, vous avez une fille ? s'écria le Nain jaune (on le nommait ainsi à cause de la couleur de son teint et de l'oranger où il demeurait). Vraiment, je m'en réjouis, car je cherche une femme par terre et par mer ; voyez si vous me la voulez promettre, je vous garantirai6 des lions, des tigres et des ours. » La reine le regarda, et elle ne fut guère moins effrayée de son horrible petite figure, qu'elle l'était déjà des lions ; elle rêvait et ne lui répondait rien.

« Quoi, vous hésitez, madame, lui cria‑t‑il, il faut que vous n'aimiez guère la vie. » En même temps la reine aperçut les lions sur le haut d'une colline, qui accouraient à elle ; ils avaient chacun deux têtes, huit pieds, quatre rangs de dents, et leur peau était aussi dure que l'écaille et aussi rouge que du maroquin7. À cette vue, la pauvre reine, plus tremblante que la colombe quand elle aperçoit un milan8, cria de toute sa force : « Monseigneur le Nain, Toute‑Belle est à vous. – Oh ! dit‑il d'un air dédaigneux, Toute‑Belle est trop belle, je n'en veux point, gardez‑la. – Hé, monseigneur, continua la reine affligée, ne la refusez pas, c'est la plus charmante princesse de l'univers. – Hé bien, répliqua‑t‑il, je l'accepte par charité ; mais souvenez‑vous du don que vous m'en faites. » Aussitôt l'oranger sur lequel il était s'ouvrit, la reine se jeta dedans à corps perdu ; il se referma, et les lions n'attrapèrent rien.

La reine était si troublée, qu'elle ne voyait pas une porte ménagée dans cet arbre. Enfin, elle l'aperçut et l'ouvrit ; elle donnait dans un champ d'orties et de chardons. Il était entouré d'un fossé bourbeux, et un peu plus loin était une maisonnette fort basse, couverte de paille : le nain Jaune en sortit d'un air enjoué, il avait des sabots, une jaquette de bure9 jaune, point de cheveux, de grandes oreilles, et tout l'air d'un petit scélérat.

« Je suis ravi, dit‑il à la reine, madame ma belle‑mère, que vous voyiez le petit château où votre Toute‑Belle vivra avec moi. Elle pourra nourrir, de ses orties et de ses chardons, un âne qui la portera à la promenade, elle se garantira10 sous ce rustique toit de l'injure des saisons. Elle boira de cette eau et mangera quelques grenouilles qui s'y nourrissent grassement ; enfin elle m'aura jour et nuit auprès d'elle, beau, dispos et gaillard comme vous me voyez : car je serais bien fâché que son ombre l'accompagnât mieux que moi. » [...]
Texte établi d'après l'édition Bordet, 1793‑1800, orthographe et ponctuation modernisées.
1. Déesses de l'Antiquité.
2. Divinités de la nature, dans l'Antiquité. Elles ont un statut inférieur à celui des déesses.
3. Types de poèmes.
4. Sorte de céréale.
5. Ancienne unité de mesure : environ 50 cm.
6. Protègerai.
7. Sorte de cuir.
8. Oiseau de proie.
9. Vêtement descendant jusqu'aux genoux, serré à la taille par une ceinture, et porté par les hommes du peuple ; la bure est une étoffe grossière de laine brute.
10. Se protègera.
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Doc.

Walter Crane, Le nain jaune
sauve la princesse des lions,
1875, lithographie couleur,
collection privée
Walter Crane, Le nain jaune sauve la princesse des lions, 1875, lithographie couleur, collection privée.
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Questions

1. En quoi ce récit plaisant illustre‑t‑il des préceptes moraux ?

2.
Grammaire
Analysez la proposition subordonnée circonstancielle dans l'extrait souligné.
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