Ô vanité ! ô néant ! ô mortels ignorants de leurs destinées ! [...] Princesse,
le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes, n'était‑ce pas assez
que l'Angleterre pleurât votre absence, sans être encore réduite à pleurer votre
mort ? Et la France, qui vous revit, avec tant de joie, environnée d'un nouvel
éclat, n'avait‑elle plus d'autres pompes1
et d'autres triomphes2
pour vous, au
retour de ce voyage fameux, d'où vous aviez remporté tant de gloire et de si
belles espérances3 ?
Vanité des vanités, et tout est vanité4 ! C'est la seule parole qui me reste ;
c'est la seule réflexion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste
et si sensible douleur.
Aussi n'ai‑je point parcouru les livres sacrés pour y trouver quelque texte
que je pusse appliquer à cette princesse. J'ai pris, sans étude et sans choix, les
premières paroles que me présente l'Écclésiaste, où, quoique la vanité ait été si
souvent nommée, elle ne l'est pas encore assez à mon gré pour le dessein que
je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du
genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les
grandeurs humaines. [...]
Non, après ce que nous venons de voir, la santé n'est qu'un nom, la vie n'est
qu'un songe5, la gloire n'est qu'une apparence, les grâces et les plaisirs ne sont
qu'un dangereux amusement : tout est vain en nous, excepté le sincère aveu
que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait
mépriser tout ce que nous sommes. [...]
Considérez, Messieurs, ces grandes puissances que nous regardons de si bas.
Pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir.
Leur élévation en est la cause ; et il les épargne si peu, qu'il ne craint pas de les
sacrifier à l'instruction du reste des hommes. Chrétiens, ne murmurez pas si
Madame a été choisie pour nous donner une telle instruction. Il n'y a rien ici de
rude pour elle, puisque, comme vous le verrez dans la suite, Dieu la sauve6
par
le m ême coup qui nous instruit.
Nous devrions être assez convaincus de notre néant : mais s'il faut des coups
de surprise à nos cœurs enchantés7 de l'amour du monde, celui‑ci est assez grand
et assez terrible. Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup,
comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt !
Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque
tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d'un mal si étrange,
on accourut à Saint‑Cloud8
de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le
cœur de cette princesse. Partout on entend des cris ; partout on voit la douleur
et le désespoir, et l'image de la mort. Le Roi, la Reine, Monsieur9, toute la cour,
tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré [...].
Fêtes somptueuses.
Dans l'Antiquité, fête célébrant les victoires.
Allusion à un voyage
diplomatique important qu'elle avait accompli auprès du roi d'Angleterre.
Référence au titre d'une célèbre pièce baroque de Calderón de la Barca, dont vous
pouvez découvrir
.
La fait entrer au paradis.
Palais de la famille royale.