Les quatre premiers livres de cet ouvrage sont consacrés à l'éducation
idéale d'un jeune garçon fictif, Émile. Dans le cinquième et dernier livre,
Rousseau s'attache à l'éducation des filles à travers le personnage de
Sophie, destinée à devenir l'épouse d'Émile.
En tout ce qui ne tient pas au sexe, la femme est homme : elle a les mêmes
organes, les mêmes besoins, les mêmes facultés ; la machine est construite de
la même manière, les pièces en sont les mêmes, le jeu de l'une est celui de
l'autre, la figure est semblable ; et, sous quelque rapport qu'on les considère,
ils ne diffèrent entre eux que du plus au moins. En tout ce qui tient au sexe,
la femme et l'homme ont partout des rapports et partout des différences. [...]
Ces rapports et ces différences doivent influer sur le moral1 : cette conséquence est sensible, conforme à l'expérience, et montre la vanité2
des disputes sur la préférence ou l'égalité des sexes. Comme si chacun des deux,
allant aux fins de la nature selon sa destination particulière3, n'était pas
plus parfait en cela que s'il ressemblait davantage à l'autre ! En ce qu'ils ont
de commun, ils sont égaux ; en ce qu'ils ont de différent, ils ne sont pas
comparables. Une femme parfaite et un homme parfait ne doivent pas plus
se ressembler d'esprit que de visage, et la perfection n'est pas susceptible de
plus et de moins.
Dans l'union des sexes chacun concourt également à l'objet commun,
mais non pas de la même manière. De cette diversité nait la première différence assignable4
entre les rapports moraux de l'un et de l'autre. L'un
doit être actif et fort, l'autre passif et faible : il faut nécessairement que l'un
veuille et puisse, il suffit que l'autre résiste peu.
Ce principe établi, il s'ensuit que la femme est faite spécialement pour
plaire à l'homme. Si l'homme doit lui plaire à son tour, c'est d'une nécessité
moins directe : son mérite est dans sa puissance ; il plait par cela seul qu'il
est fort. Ce n'est pas ici la loi de l'amour, j'en conviens ; mais c'est celle de la nature, antérieure à l'amour même. [...]
La ruse est un talent naturel au sexe [féminin]. Cette adresse particulière
donnée au sexe est un dédommagement très équitable de la force qu'il a
en moins ; sans quoi la femme ne serait pas la compagne de l'homme ; elle
serait son esclave : c'est par cette supériorité de talent qu'elle se maintient
son égale, et qu'elle le gouverne en lui obéissant. La femme a tout contre
elle, nos défauts, sa timidité, sa faiblesse, elle n'a pour elle que son art et sa
beauté. N'est‑il pas juste qu'elle cultive l'un et l'autre ?
1. Le comportement, la psychologie (par opposition au physique).
2. L'inutilité, la futilité.
3. Obéissant à ce que la nature lui a spécifiquement réservé.
4. Que l'on peut attribuer.