Ô ! femmes, approchez et venez m'entendre.
Que votre curiosité, dirigée une fois sur des objets utiles, contemple les
avantages que vous avait donnés la nature et que la société vous a ravis1.
Venez apprendre comment, nées compagnes de l'homme, vous êtes devenues son esclave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment
enfin, dégradées de plus en plus par votre longue habitude de l'esclavage,
vous en avez préféré les vices avilissants2, mais commodes, aux vertus plus
pénibles d'un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé vous
laisse de sang‑froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez
à vos occupations futiles. Le mal est sans remède, les vices se sont changés en
mœurs3. Mais si au récit de vos malheurs et de vos pertes, vous rougissez de
honte et de colère, si des larmes d'indignation s'échappent de vos yeux, si
vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez plus abuser par de trompeuses promesses,
n'attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils n'ont ni
la volonté ni la puissance de les finir. Et comment pourraient‑ils former des
femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? Apprenez qu'on ne
sort de l'esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est‑elle
possible ? C'est à vous seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage.
1. Volés.
2. Dégradants, humiliants.
3. Cette phrase est une citation partielle du philosophe latin Sénèque : « Le mal est sans remède quand les vices se sont changés en mœurs » (
Lettres à Lucilius, lettre XXXIX).