J'ai aimé que le Conseil constitutionnel se préoccupe de la lutte contre les discriminations.
Dans cette matière, je suis hostile aux amalgames hâtifs et aux interprétations simplificatrices. Pour moi, par exemple, l'égalité entre les sexes n'est pas la négation de leurs différences, qui ne sont pas seulement physiques, n'en déplaise à quelques sociologues intégristes. Disons‑le clairement. Je suis favorable à toutes les mesures de discrimination positive susceptibles de réduire les inégalités de chances, les inégalités sociales, les inégalités de rémunération, les inégalités de promotion dont souffrent encore les femmes.
Avec l'âge, je suis devenue de plus en plus militante de leur cause. Paradoxalement peut‑être, là aussi, je m'y sens d'autant plus portée que ce que j'ai obtenu dans la vie, je l'ai souvent obtenu précisément parce que j'étais une femme. À l'école, dans les différentes classes où j'ai pu me trouver, j'étais toujours le chouchou des professeurs. À Auschwitz, le fait que je sois une femme m'a probablement sauvé la vie puisqu'une femme pour me protéger m'avait désignée pour rejoindre un commando moins dur que le camp lui‑même. Si l'existence ne m'a guère épargnée, j'ai, en revanche, croisé bien des gens qui m'ont protégée. Tout cela pour dire que ma position actuelle ne saurait être interprétée comme une revanche personnelle. Elle tient en une seule phrase : les chances, pour les femmes, procèdent trop du hasard, et pas assez de la loi ou plus généralement de la règle du jeu. Réciproquement, je suis convaincue que la société ne peut que bénéficier de l'apport spécifique, pour elle, de la réduction des inégalités dont souffrent les femmes, plus en France du reste que dans les autres pays de l'Union, car chez nous les directives européennes sont, dans ce domaine, allègrement méconnues.
Un mot encore, à propos de la discrimination positive. Il est inutile de la proclamer à son de trompe1. Il est préférable de la pratiquer. Nul besoin pour cela d'employer de grands mots, qui ne peuvent qu'ameuter les idéologues de l'égalitarisme républicain, non plus que de débattre de quotas sur
lesquels personne ne s'accordera. Ici comme ailleurs, notre pays s'engage trop volontiers dans des débats théoriques qui portent sur les principes et négligent les réalités de la société. Pendant que l'on fait des ronds de jambe2 sur la parité, je suis bien obligée de constater qu'il n'y a plus que deux femmes, sur neuf, membres du Conseil constitutionnel. « De mon temps », comme on dit, nous étions trois.
Il est vrai qu'il n'y a aucune exigence juridique à la parit é. À l'automne 1995, après l'épisode des « Jupettes3 », Alain Juppé ayant renvoyé à leur foyer les deux tiers des femmes membres de son gouvernement, nous nous sommes réunies, dix femmes de droite et de gauche, pour tenter de faire progresser la parité dans les élections politiques. En dépit de l'aménagement constitutionnel intervenu à l'époque, les formations politiques persistent à méconnaître la règle, chaque fois qu'elles le peuvent, préférant payer les pénalités prévues.
La problématique de l'inégalité des chances et des mesures correctives qu'elle appelle, chacun sait bien qu'elle va très au‑delà de la question de la parité entre les hommes et les femmes. Elle est évidemment au cœur des questions d'intégration et de cohésion sociale. Là aussi, la discrimination s'impose. De temps à autre, on assiste à de courageuses initiatives. On a beaucoup parlé de celle prise par le directeur de Sciences‑Po, Richard Descoings, ouvrant une filière de recrutement réservée aux élèves des banlieues. Après l'inévitable levée de boucliers qui a suivi sa décision, tout le monde a bien été obligé de reconnaître les conséquences positives de sa démarche. Il faudrait que cela fasse école4. (648 mots)
1. À grand bruit, pour attirer l'attention.
2. Que l'on se montre excessivement attentif, concerné.
3. En 1995, le nouveau Premier ministre Alain Juppé forme un gouvernement composé de presque 30 % de femmes, surnommées les « Jupettes ». Mais cinq mois plus tard, dès les premières difficultés du gouvernement, les deux tiers de ces femmes sont renvoyées.
4. Que cela serve de modèle et se répande.