La chambre de Lorenzo. Entrent LE DUC et LORENZO.
LE DUC. – Je suis
transi1, – il fait vraiment froid. (
Il ôte son épée). Eh bien, mignon, qu'est-ce que tu fais donc ?
LORENZO. – Je roule votre
baudrier2 autour de votre épée, et je la mets sous votre chevet. Il est bon d'avoir toujours une arme sous la main. (
Il entortille le baudrier de manière à empêcher l'épée de sortir du fourreau.)
LE DUC. – Tu sais que je n'aime pas les bavardes, et il m'est revenu que la Catherine était une belle parleuse. Pour éviter les conversations, je vais me mettre au lit. À propos, pourquoi donc as-tu fait demander des chevaux de poste à l'évêque de Marzi ?
LORENZO. – Pour aller voir mon frère, qui est très malade, à ce qu'il m'écrit.
LE DUC. – Va donc chercher ta tante.
LORENZO. – Dans un instant. (
Il sort.)
LE DUC, seul. – Faire la cour à une femme qui vous répond oui lorsqu'on lui demande oui ou non, cela m'a toujours paru très sot, et tout à fait digne d'un Français. Aujourd'hui surtout que j'ai soupé comme trois moines, je serais incapable de dire seulement : « Mon cœur, ou mes chères entrailles », à
l'infante3 d'Espagne. Je veux faire semblant de dormir ; ce sera peut-être
cavalier4, mais ce sera commode. (
Il se couche. – Lorenzo rentre l'épée à la main.)
LORENZO. – Dormez-vous, seigneur ? (
Il le frappe.)
LE DUC. – C'est toi, Renzo ?
LORENZO. – Seigneur, n'en doutez pas. (
Il le frappe de nouveau. – Entre Scoronconcolo).
SCORONCONCOLO. – Est-ce fait ?
LORENZO. – Regarde, il m'a mordu au doigt. Je garderai jusqu'à la mort cette bague sanglante, inestimable diamant.
SCORONCONCOLO. – Ah ! mon Dieu, c'est le duc de Florence !
LORENZO, s'asseyant sur le bord de la fenêtre. – Que la nuit est belle ! que l'air du ciel est pur ! Respire, respire, cœur
navré5 de joie !
SCORONCONCOLO. – Viens, maître, nous en avons trop fait. Sauvons-nous.
LORENZO. – Que le vent du soir est doux et embaumé ! comme les fleurs des prairies s'entrouvrent ! Ô nature magnifique, ô éternel repos !
SCORONCONCOLO. – Le vent va glacer sur votre visage la sueur qui en découle.
Venez, seigneur.
LORENZO. – Ah ! Dieu de bonté ! quel moment !
SCORONCONCOLO, à part. – Son âme se dilate singulièrement. Quant à moi, je prendrai les devants.
LORENZO. – Attends ! tire ces rideaux. Maintenant, donne-moi la clef de cette chambre.
SCORONCONCOLO. – Pourvu que les voisins n'aient rien entendu !
LORENZO. – Ne te souviens-tu pas qu'ils sont habitués à notre tapage ? Viens, partons. (
Ils sortent.)