J'ai l'honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France. [...]
Il se trouve que la France aura été [...] l'un des derniers pays [...] en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort.
Pourquoi ce retard ? [...] C'est de la France, c'est de cette enceinte que se sont levées les plus grandes voix [...] qui ont soutenu avec le plus d'éloquence la cause de l'abolition. Vous avez [...] rappelé Hugo, j'y ajouterai, parmi les écrivains, Camus.
Pour ma part, j'y vois une explication qui est d'ordre politique. [...]
Ceux qui veulent une justice qui tue [...] sont animés par une double conviction : qu'il existe des hommes totalement coupables [...] totalement responsables de leurs actes, et qu'il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir. À cet âge de ma vie, l'une et l'autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement.
Cette justice d'élimination, cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu'elle est pour nous l'antijustice, parce qu'elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l'humanité.
[...] Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.