« Voici ce que tu vas faire. Commence par démolir ton palais et récupères-en le bois. […] Utilise-le pour construire ton refuge : une Arche1, en forme de cube, de soixante mètres d'arête2. Répartis sa hauteur sur sept étages, autour d'un mât central qui servira de support. Aménage neuf chambres par niveau où tu entreposeras tout ce qu'il te faut pour vivre, à ta femme et à toi. Ensuite, attends mon signal. […] La fin du monde est proche. »
Tu3 imagines mon trouble, après une telle révélation ! ajoute Outa-napishti. Mais pas un instant je n'ai douté de mon dieu et j'ai suivi tous ses conseils, sans le moindre regret. […] Je compris ainsi l'intention d'Éa. Il me confiait, à moi, la mission de faire naître de l'épreuve une nouvelle humanité. […]
Posément, je fis le tour de mon royaume. Je visitai mes troupeaux et mes parcs animaliers. J'y prélevai un couple de chaque espèce domestique et sauvage. Je les installai dans tous les compartiments de l'Arche […]. Puis je fis monter mon épouse bien-aimée. Je refermai l'écoutille4 sur nous et la calfeutrai5 soigneusement, avec de la filasse6 et du goudron.
Le compte à rebours était lancé. Nous attendions le grand commencement.
Tout se figea soudain. Les bêtes et les choses savaient et se taisaient. Alors un choc sourd, au fin fond de l'espace, fracassa les digues7 du ciel et toutes ses réserves d'eau douce roulèrent en grondant, déchiquetèrent la voûte céleste et s'abattirent sur la terre.
Les villes furent balayées d'un coup et les hommes, hachés comme de la paille. Rien ne résista. Tout fut broyé, battu, liquéfié8. La nuit noircissait le monde, et les épées de la pluie saignaient l'obscurité à blanc.
Même les dieux étaient terrifiés par ce qu'ils avaient provoqué. Ils en avaient perdu le contrôle et Déluge, tel un jeune monstre, n'obéissait qu'à lui-même et s'en donnait à coeur joie.
L'Arche résistait bien. La crue9 l'avait emportée et elle dérivait, bercée par le flot du nouvel océan.
Mon heure était venue. […] Dans chaque loge, je recueillais la peur, la cruauté, la fourberie10, la panique, la brutalité, la soumission. En échange, j'offrais des contraires : la confiance, la bonté, la franchise, le calme, la douceur, l'indépendance. […] J'accomplissais ainsi la mission confiée par Éa : enfanter une vie nouvelle qui, peu à peu, se rassemblait dans mon coeur.
Lorsque j'eus terminé, je fis sauter l'écoutille et sortis à l'air libre. Dehors, un océan jaune s'étendait à perte de vue et des montagnes, ça et là, crevaient les eaux et pointaient leurs doigts vers le ciel.
[Outa-napishti envoie une colombe puis une hirondelle pour annoncer qu'une vie nouvelle est prête à se développer. Les deux oiseaux reviennent à l'arche.]
Enfin, je libérai un corbeau en lui disant : « Tu es robuste et perspicace. Va ! Trouve un rivage et installe-toi sur la terre. » Le corbeau reprit sa liberté et ne revint jamais.
Peu après, mon vaisseau11 s'échoua sur une rive. […] Arrivé à terre, je dressai un bûcher pour remercier les dieux. Roseau, cèdre, myrte12. Le parfum de la fumée les surprit et ils arrivèrent en se bousculant pour avoir l'explication de ce mystère.
« Des hommes ! s'exclamèrent-ils. Il en reste donc ! Hourra ! Rien n'est perdu ! »
Bateau.
De côté.
Outa‐napisthi s'adresse à Gilgamesh.
Ouverture sur le pont d'un bateau qui permet d'accéder aux cales.
La rendis étanche.
Amas de fils grossiers.
Constructions qui empêchent l'eau de déborder.
Rendu liquide.
Montée des eaux.
Tromperie.
Bateau.
Plante aromatique.