Acte III, scène 4 – Don Rodrigue, Chimène, Elvire1
DON RODRIGUE. – N'épargnez point mon sang ; goûtez, sans résistance,
La douceur de ma perte et de votre vengeance.
CHIMÈNE. – Hélas !
DON RODRIGUE. – Écoute-moi.
CHIMÈNE. – Je me meurs.
DON RODRIGUE. – Un moment.
CHIMÈNE. – Va, laisse-moi mourir.
DON RODRIGUE. – Quatre mots seulement ;
Après, ne me réponds qu'avecque cette épée.
CHIMÈNE. – Quoi ? du sang de mon père encor toute trempée !
DON RODRIGUE. — Ma Chimène…
CHIMÈNE. – Ôte-moi cet objet odieux
Qui reproche2 ton crime et ta vie à mes yeux.
DON RODRIGUE. – Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,
Pour croître ta colère, et pour hâter ma peine.
CHIMÈNE. – Il est teint de mon sang.
DON RODRIGUE. – Plonge-le dans le mien,
Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.
CHIMÈNE. – Ah ! quelle cruauté, qui tout en un jour tue
Le père par le fer, la fille par la vue !
Ôte-moi cet objet, je ne le puis souffrir3 :
Tu veux que je t'écoute, et tu me fais mourir !
[…]
Ah ! Rodrigue ! Il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne puis te blâmer d'avoir fui l'infamie4 ;
Et, de quelque façon qu'éclatent mes douleurs,
Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs.
Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage,
Demandait à l'ardeur d'un généreux courage :
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien ;
Mais aussi, le faisant, tu m'as appris le mien.
Ta funeste5 valeur m'instruit par ta victoire ;
Elle a vengé ton père et soutenu ta gloire :
Même soin me regarde6, et j'ai, pour m'affliger,
Ma gloire à soutenir, et mon père à venger.
Hélas ! Ton intérêt7 ici me désespère.
Si quelque autre malheur m'avait ravi mon père,
Mon âme aurait trouvé dans le bien de te voir
L'unique allègement8 qu'elle eût pu recevoir ;
Et contre ma douleur j'aurais senti des charmes,
Quand une main si chère eût essuyé mes larmes.
Mais il me faut te perdre après l'avoir perdu ;
Cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû ;
Et cet affreux devoir, dont l'ordre m'assassine,
Me force à travailler moi-même à ta ruine.
Car enfin n'attends pas de mon affection
De lâches sentiments pour ta punition9.
De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne10,
Ma générosité11 doit répondre à la tienne :
Tu t'es, en m'offensant, montré digne de moi ;
Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi.
[…]
DON RODRIGUE. – […] Ton malheureux amant12 aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine.
CHIMÈNE. – Va, je ne te hais point.
DON RODRIGUE. – Tu le dois.
CHIMÈNE. – Je ne puis.
[…]
DON RODRIGUE. – Que je meure !
CHIMÈNE. – Va-t'en.
DON RODRIGUE. – À quoi te résous-tu ?
CHIMÈNE. – Malgré des feux si beaux, qui troublent ma colère,
Je ferai mon possible à bien venger mon père ;
Mais, malgré la rigueur d'un si cruel devoir,
Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.
Gouvernante et confidente de Chimène.
Rappelle douloureusement.
Je ne peux supporter de le voir.
La honte, le déshonneur.
Qui apporte le malheur, la mort.
Le même devoir m'attend.
L'intérêt (l'amour) que j'ai pour toi.
Soulagement.
Des sentiments qui me feraient renoncer à me venger.
Malgré ce que notre amour me dit en ta faveur.
Ma noblesse, mon courage.
Amoureux (Rodrigue).