Jupiter veut séduire la mortelle Alcmène, mais celle-ci est folle amoureuse de son mari Amphitryon. Le roi des dieux prend alors la forme du mari, qu'il a pris soin d'envoyer à la guerre, et se présente devant la jeune épouse.
Scène sixième
Alcmène à son balcon. Jupiter en Amphitryon.
Alcmène, bien réveillée. – Qui frappe là ? Qui me dérange, dans mon
sommeil ?
Jupiter. – Un inconnu que vous aurez plaisir à voir.
Alcmène. – Je ne connais pas d'inconnus.
Jupiter. – Un général.
Alcmène. – Que font les généraux à errer si tard sur les routes ? Ils sont
déserteurs ? Ils sont vaincus ?
Jupiter. – Ils sont vaincus par l'amour.
Alcmène. – Voilà ce qu'ils risquent en s'attaquant à d'autres qu'à des
généraux ! Qui êtes-vous ?
Jupiter. – Je suis ton amant.
Alcmène. – C'est à Alcmène que vous parlez, non à sa chambrière1.
Je n'ai pas d'amant... Pourquoi ce rire ?
Jupiter. – Tu n'as pas tout à l'heure ouvert avec angoisse la fenêtre,
et regardé dans la nuit ?
Alcmène. – Je regardais la nuit, justement. Je peux te dire comment elle
est : douce et belle.
Jupiter. – Tu n'as pas, il y a peu de temps, d'un vase d'or, versé de l'eau glacée sur un guerrier étendu ?
Alcmène. – Ah ! elle était glacée !... Tant mieux... C'est bien possible...
Jupiter. – Tu n'as pas, devant le portrait d'un homme, murmuré :
Ah ! si je pouvais, tant qu'il sera absent, perdre la mémoire !
Alcmène. – Je ne m'en souviens pas. Peut-être...
Jupiter. – Tu ne sens pas, sous ces jeunes étoiles, ton corps s'épanouir
et ton cœur se serrer, en pensant à un homme, qui est peut-être d'ailleurs,
je l'avoue, très stupide et très laid ?
Alcmène. – Il est très beau, et trop spirituel. Et en effet, j'ai du miel
dans la bouche quand je parle de lui. Et je me souviens du vase d'or.
Et c'était lui que je voyais dans les ténèbres. Et qu'est-ce que cela prouve ?
Jupiter. – Que tu as un amant. Et il est là.
Alcmène. – J'ai un époux, et il est absent. Et personne ne pénétrera
dans ma chambre que mon époux. Et lui-même, s'il déguise ce nom,
je ne le reçois pas.
Jupiter. – Jusqu'au ciel se déguise, à l'heure où nous sommes.
Alcmène. – Homme peu perspicace, si tu crois que la nuit est le jour
masqué, la lune un faux soleil, si tu crois que l'amour d'une épouse peut
se déguiser en amour du plaisir.
Jupiter. – L'amour d'une épouse ressemble au devoir. Le devoir
à la contrainte. La contrainte tue le désir.
Alcmène. – Tu dis ? Quel nom as-tu prononcé là ?
Jupiter. – Celui d'un demi-dieu, celui du désir.
Alcmène. – Nous n'aimons ici que les dieux complets. Nous laissons
les demi-dieux aux demi-jeunes filles et aux demi-épouses. [...]
1. Chambrière : femme de chambre