Aux uns, il écrabouillait la cervelle, à d'autres,
il brisait les bras et les jambes, à d'autres, il démettait
les vertèbres du cou, à d'autres, il disloquait les
reins, effondrait le nez, pochait les yeux, fendait les
mâchoires, enfonçait les dents dans la gueule, défonçait
les omoplates, meurtrissait les jambes, déboitait les
fémurs, débezillait les fauciles.
Si l'un d'eux cherchait à se cacher au plus épais des
ceps1, il lui froissait toute l'arête du dos et lui cassait les
reins comme à un chien.
Si un autre cherchait son salut en fuyant, il lui faisait
voler la tête en morceaux en le frappant à la suture
occipito‑pariétale.
Si un autre grimpait à un arbre, croyant y être en
sécurité, avec son bâton, il l'empalait par le fondement2.
Si quelque ancienne connaissance lui criait : « Ah !
Frère Jean, mon ami, Frère Jean, je me rends !
– Tu y es, disait‑il, bien forcé, mais tu rendras du même coup ton âme à tous
les diables ! »
Et sans attendre, il lui assénait une volée. Et si quelqu'un se trouvait suffisamment
flambant de témérité pour vouloir lui résister en face, c'est alors qu'il montrait
la force de ses muscles, car il lui transperçait la poitrine à travers le médiastin
et le cœur. À d'autres, qu'il frappait au défaut des côtes, il retournait l'estomac
et ils en mouraient sur‑le‑champ. À d'autres, il crevait si violemment le nombril,
qu'il leur en faisait sortir les tripes. À d'autres, il perçait le boyau du cul entre les
couilles. Croyez bien que c'était le plus horrible spectacle qu'on ait jamais vu. […]
Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir. Les uns mouraient
en parlant, les autres parlaient en mourant.
D'autres criaient à voix haute : « Confession ! Confession ! Je confesse ! Ayez
Pitié ! Entre vos mains !3 »
Le cri des blessés était si grand que le prieur de l'abbaye sortit avec tous ses
moines ; quand ils aperçurent ces blessés à mort, ils en confessèrent quelquesuns.
Mais, pendant que les prêtres prenaient le temps de confesser, les petits
moinillons coururent à l'endroit où se trouvait Frère Jean et lui demandèrent
en quoi il désirait leur aide. Il leur répondit qu'ils n'avaient qu'à égorgeter ceux
qui étaient tombés à terre. Alors, laissant leurs grandes capes sur le pied de
vigne le plus proche, ils commencèrent à égorgeter et achever ceux qu'il avait
déjà abattus. Savez‑vous avec quelles armes ? Avec de beaux canifs, de ces petits
demi‑couteaux avec lesquels les petits enfants de notre pays cernent les noix.