En l'église Saint‑Jean de Lyon y avait une chapelle fort obscure, et dedans
un sépulcre1 fait de pierres à grands personnages élevés, comme le vif2, et sont
à l'entour du sépulcre plusieurs hommes d'armes couchés. Un soldat se promenant
un jour dans l'église, au temps d'été qu'il fait grand chaud, lui prit envie
de dormir, et regardant cette belle chapelle obscure et fraîche, pensa d'aller au
sépulcre dormir, comme les autres, auprès desquels il se coucha.
Or advint qu'une bonne vieille fort dévote3 arrive au plus fort de son sommeil.
Et après qu'elle eut dit ses dévotions, tenant une chandelle en sa main, la
voulut attacher au sépulcre4 : et là trouvant le plus près de celle‑ci cet homme
endormi, la lui voulut mettre au front, pensant qu'il fut de pierre : mais la cire
ne peut tenir contre cette pierre. La bonne dame, qui pensait que ce fut à cause
de la froideur de l'image, lui va mettre le feu contre le front, pour y faire tenir sa
bougie : mais l'image, qui n'était insensible, commença à s'écrier, dont la femme
eut peur : et comme toute hors du sens5, se prit à crier, « miracle, miracle » : tant
que tous ceux, qui étaient dans l'église coururent, les uns à sonner les cloches,
les autres à venir voir le miracle. Et la bonne femme les mena voir l'image qui
s'était remuée, qui donna occasion à plusieurs de rire : mais les prêtres ne s'en
pouvaient contenter, car ils avaient bien délibéré de faire valoir ce sépulcre6, et en
tirer autant d'argent que du crucifix qui est sur leur pupitre, lequel on dit avoir
parlé. Mais la comédie prit fin par la connaissance de la sottise d'une femme. Si
chacun les connaissait telles qu'elles sont, leurs sottises ne seraient pas estimées
sainteté, ni leur malice vérité.
« Je vous prie, mes dames, dorénavant, regardez à quels saints vous donnerez
vos chandelles.
– C'est grand chose, dit Hircan, qu'en quelque sorte que ce soit, il faut toujours
que les femmes fassent mal.
– Est‑ce mal fait, dit Nomerfide, de porter des chandelles aux sépulcres ?
– Oui, dit Hircan […] Pensez que la pauvre femme croyait avoir fait un beau
présent à Dieu d'une petite chandelle !
– Dieu ne regarde point, dit Oisille, la valeur du présent mais le cœur qui le
présente. Peut‑être que cette bonne femme avait plus d'amour à Dieu, que ceux,
qui donnent leurs grandes torches : car (comme dit l'Évangile) elle donnait de
sa nécessité7.
– Si ne crois‑je pas, dit Saffredent, que Dieu, qui est souveraine sagesse, sut
avoir agréable la sottise des femmes car combien la simplicité lui plaise je vois
par l'Écriture qu'il méprise l'ignorant. Et s'il commande d'être simples comme
colombes, il ne commande pas moins d'être prudents comme serpents8.
« Soyez donc
prudents comme les serpents et purs comme la colombe », paroles de Jésus à ses disciples (Matthieu
10:16).