Si le duc fut bien aise, il ne le faut point demander. Et quand il vit approcher la nuit tant désirée, où il espérait avoir la victoire de celle qu'il avait estimée invincible, il se retira de bonne heure avec ce gentilhomme tout seul et n'oublia pas de s'accoutrer de coiffes et chemises parfumées le mieux qu'il lui fût possible. Et quand chacun se fut retiré, il s'en alla avec ce gentilhomme au logis de la dame, où il arriva en une chambre bien fort en ordre. Le gentilhomme le dépouilla de sa robe de nuit et le mit dedans le lit, en lui disant : « Monseigneur, je vous vais quérir celle qui n'entrera pas en cette chambre sans rougir ; mais j'espère que, avant le matin, elle sera assurée1 de vous. » Il laissa le duc et s'en alla en sa chambre où il ne trouva qu'un seul homme de ses gens auquel il dit : « Aurais‑tu bien le coeur2 de me suivre en un lieu où je me veux venger du plus grand ennemi que j'aie en ce monde ? » L'autre, ignorant ce qu'il voulait faire, lui répondit : « Oui, Monseigneur, fût‑ce contre le duc même. » Sur‑le‑champ le gentilhomme le mena si soudain qu'il n'eut le3 loisir de prendre autres armes qu'un poignard qu'il avait. Et quand le duc l'ouït3 revenir, pensant qu'il lui amenât celle qu'il aimait tant, il ouvrit son rideau et ses yeux pour regarder et recevoir le bien qu'il avait tant attendu ; mais, en lieu de voir celle dont il espérait la conservation de sa vie, va voir la précipitation de sa mort, qui était une épée toute nue que le gentilhomme avait tirée, de laquelle il frappa le duc qui était tout en chemise ; lequel, dénué d'armes et non de le coeur2, se mit sur son séant4, dedans le lit, et prit le gentilhomme à travers le corps en lui disant : « Est‑ce ici la promesse que vous me tenez ? » Et voyant qu'il n'avait d'autres armes que les dents et les ongles, il mordit le gentilhomme au pouce, et à la force de ses bras se défendit tant que tous deux tombèrent en la ruelle5 du lit. Le gentilhomme ; qui n'était trop assuré, appela son serviteur ; lequel, trouvant le duc et son maitre si liés ensemble qu'il ne savait lequel choisir, les tira tous deux par les pieds, au milieu de la place, et avec son poignard s'essaya à couper la gorge du duc, lequel se défendit jusqu'à ce que la perte de son sang le rendît si faible qu'il n'en pouvait plus. Alors le gentilhomme et son serviteur le mirent dans son lit, où à coups de poignard le parachevèrent de tuer. Puis, tirant le rideau, ils s'en allèrent et enfermèrent le corps mort en la chambre.
Sera rassurée, mise en confiance.
Courage.
L'entendit.
S'assit.