La petite femelle
Une fille sans âme, une garce, un monstre. Une meurtrière qui a
tué plus qu'un homme, qui a tué la pureté. Mauvaise, féroce, perverse,
diabolique, insensible, amorale, tous ces mots lui ont été appliqués,
plutôt jetés dessus, dans la presse et dans les rues, partout en France.
Madeleine Jacob, chroniqueuse judiciaire sans pincettes ni scrupules1,
a écrit dans Libération […] : Orgueilleuse, obstinée, sensuelle, égoïste, méchante et comédienne. Tout cela se lit au premier regard sur le visage pâle, émacié, de Pauline Dubuisson. C'est bien de se contenter du premier regard, Madeleine, ça évite de perdre du temps avec les traînées3
dans son genre. […]
Car je ne crois pas qu'elle ait été mauvaise, perverse, insensible
et cruelle, comme on l'a si souvent dit : je crois même qu'elle était
l'opposé de tout cela. Je n'en suis pas sûr, car elle est avant tout
déroutante, difficile à cerner, à comprendre, si l'on s'en tient aux
témoignages de ceux qui l'ont connue, même les plus proches : les
images qu'ils donnent de Pauline sont contradictoires, voire souvent contraires,
et dressent d'elle, juxtaposées, un portrait impossible — ça ne colle pas, c'est
comme si Machin et Bidule, les deux frères de Tartenpionne, vous jurent l'un
qu'elle est brune et l'autre qu'elle est chauve. Il faut que j'essaie de savoir. […]
Ce qu'il faut surtout, pour parler technique, c'est que je n'invente rien, ne
truque rien, là aussi elle a eu sa dose. Que je m'efforce d'être le plus précis, le
plus juste, le plus fidèle qu'on puisse être si loin dans son futur. (Pas question de
prétendre détenir une quelconque vérité, je suis un petit gars simple et modeste,
mais juste : ne pas raconter de salades […].) Je suis l'ami de la fiction, je le jure
[…], mais qu'on s'approprie l'existence et l'âme de quelqu'un et qu'on en fasse
ce qu'on veut, je ne sais pas, ça me gêne un peu. Dans le roman La Ravageuse,
publié près de trente ans après la mort de Pauline, Jean‑Marie Fitère la fait parler
à la première personne, et invente les trois quarts de sa vie et de ses pensées. C'est
le coup de main de l'artiste à la pauvre et simple mortelle – « J'ai arrangé un
peu la réalité mais c'est pour ton bien, si tu étais là tu me remercierais ». […] Ce
qu'on a dit et ce qu'on dit encore parfois (donc) de la vie de Pauline Dubuisson
est plus faux que faux – pas de bol ; je n'aimerais pas que ça arrive à ma mère, ni
à moi : Philippe Jaenada, saltimbanque au cœur tendre, était un grand amateur de
vodka‑fraise et de courses de cochons. Pour essayer de ne trahir ni Pauline, ni mon
projet, il faut que je sois rigoureux et – comme un petit chercheur en blouse
blanche (au cœur tendre, allez) qui baisse le nez sur son microscope – soucieux
des détails. Où se trouve le diable3, paraît‑il.