Cette rue, maintenant peu fréquentée, chaude en été, froide en hiver, obscure
en quelques endroits, est remarquable par la sonorité de son petit pavé caillouteux,
toujours propre et sec, par l'étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de
ses maisons qui appartiennent à la vieille ville, et que dominent les remparts.
Des habitations trois fois séculaires y sont encore solides, quoique construites
en bois, et leurs divers aspects contribuent à l'originalité qui recommande cette
partie de Saumur à l'attention des antiquaires1 et des artistes. […] Plus loin,
c'est des portes garnies de clous énormes où le génie de nos ancêtres a tracé des
hiéroglyphes domestiques dont le sens ne se retrouvera jamais. Tantôt un protestant
y a signé sa foi, tantôt un ligueur2 y a maudit Henri IV. Quelque bourgeois
y a gravé les insignes de sa noblesse de cloches3, la gloire de son échevinage4
oublié. L'Histoire de France est là tout entière. À côté de la tremblante maison
à pans hourdés5 où l'artisan a déifié son rabot, s'élève l'hôtel d'un gentilhomme
où sur le plein-cintre de la porte en pierre se voient encore quelques vestiges
de ses armes, brisées par les diverses révolutions qui depuis 1789 ont agité le
pays. Dans cette rue, les rez-de-chaussée commerçants ne sont ni des boutiques
ni des magasins, les amis du Moyen-âge y retrouveraient l'ouvrouère6 de nos
pères en toute sa naïve simplicité. Ces salles basses, qui n'ont ni devanture, ni montre7, ni vitrages8,sont profondes, obscures et sans ornements extérieurs ou intérieurs. Leur porte est ouverte en deux parties pleines, grossièrement ferrées,
dont la supérieure se replie intérieurement, et dont l'inférieure, armée d'une
sonnette à ressort va et vient constamment. L'air et le jour arrivent à cette espèce
d'antre humide, ou par le haut de la porte, ou par l'espace qui se trouve entre
la voûte, le plancher et le petit mur à hauteur d'appui dans lequel s'encastrent
de solides volets, ôtés le matin, remis et maintenus le soir avec des bandes de
fer boulonnées. Ce mur sert à étaler les marchandises du négociant. Là, nul
charlatanisme. Suivant la nature du commerce, les échantillons consistent en
deux ou trois baquets pleins de sel et de morue, en quelques paquets de toile à
voile, des cordages, du laiton pendu aux solives9 du plancher, des cercles le long
des murs, ou quelques pièces de drap sur des rayons. Entrez. Une fille propre,
pimpante de jeunesse, au blanc fichu, aux bras rouges, quitte son tricot, appelle
son père ou sa mère qui vient et vous vend à vos souhaits, flegmatiquement,
complaisamment, arrogamment, selon son caractère, soit pour deux sous, soit
pour vingt mille francs de marchandise.
Noblesse octroyée à un roturier ayant occupé un emploi municipal. Les cloches de l'hôtel de
ville retentissaient lors des élections des magistrats municipaux.