Le curé, entre les deux enfants de chœur, s'en vint à
l'un des bouts de l'embarcation, tandis qu'à l'autre, les
trois vieux chantres1, crasseux dans leur blanche vêture,
le menton poileux, l'air grave, l'œil sur le livre de plainchant, détonnaient à pleine gueule dans la claire matinée.
[...]
Mais le chant s'arrêta après un amen hurlé cinq
minutes ; et le prêtre, d'une voix empâtée, gloussa
quelques mots latins dont on ne distinguait que les terminaisons sonores.
Il fit ensuite le tour de la barque en l'aspergeant d'eau
bénite, puis il commença à murmurer des oremus en se
tenant à présent le long d'un bordage2 en face du parrain
et de la marraine qui demeuraient immobiles, la main
dans la main.
Le jeune homme gardait sa figure grave de beau garçon, mais la jeune fille, étranglée par une émotion soudaine, défaillante, se mit à trembler tellement, que ses
dents s'entrechoquaient. Le rêve qui la hantait depuis quelque temps, venait de
prendre tout à coup, dans une espèce d'hallucination, l'apparence d'une réalité.
On avait parlé de noce, un prêtre était là, bénissant, des hommes en surplis3 psalmodiaient des prières ; n'était‑ce pas elle qu'on mariait ?
Eut‑elle dans les doigts une secousse nerveuse, l'obsession de son cœur
avait‑elle couru le long de ses veines jusqu'au cœur de son voisin ? Comprit‑il,
devina‑t‑il, fut‑il comme elle envahi par une sorte d'ivresse d'amour ? ou bien, savait‑il seulement, par expérience, qu'aucune femme ne lui résistait ? Elle s'aperçut soudain qu'il pressait sa main, doucement d'abord, puis plus fort, plus fort,
à la briser. Et, sans que sa figure remuât, sans que personne s'en aperçût, il dit,
oui certes, il dit très distinctement : « Oh ! Jeanne, si vous vouliez, ce seraient
nos fiançailles. »
Elle baissa la tête d'un mouvement très lent qui peut‑être voulait dire « oui ».
Et le prêtre qui jetait encore de l'eau bénite leur en envoya quelques gouttes sur
les doigts.
C'était fini. Les femmes se relevaient. Le retour fut une débandade. La croix,
entre les mains de l'enfant de chœur, avait perdu sa dignité ; elle filait vite, oscillant de droite à gauche, ou bien penchée en avant, prête à tomber sur le nez. Le
curé, qui ne priait plus, galopait derrière [...]. Une même pensée, qui mettait
en leur tête comme une odeur de cuisine, allongeait les jambes, mouillait les
bouches de salive, descendait jusqu'au fond des ventres où elle faisait chanter
les boyaux.
Un bon déjeuner les attendait aux Peuples4.
Château où vit Jeanne.