Le soir, avant la prière, on faisait dans l'étude
une lecture religieuse. C'était, pendant la semaine,
quelque résumé d'Histoire sainte ou les Conférences
de l'abbé Frayssinous, et, le dimanche, des passages
du Génie du christianisme1, par récréation. Comme
elle écouta, les premières fois, la lamentation sonore
des mélancolies romantiques se répétant à tous les
échos de la terre et de l'éternité ! Si son enfance se
fût écoulée dans l'arrière‑boutique d'un quartier
marchand, elle se serait peut‑être ouverte alors aux
envahissements lyriques de la nature, qui, d'ordinaire,
ne nous arrivent que par la traduction des écrivains. Mais elle connaissait trop
la campagne ; elle savait le bêlement des troupeaux, les laitages, les charrues.
Habituée aux aspects calmes, elle se tournait, au contraire, vers les accidentés.
Elle n'aimait la mer qu'à cause de ses tempêtes, et la verdure seulement lorsqu'elle
était clairsemée parmi les ruines. Il fallait qu'elle pût retirer des choses une sorte
de profit personnel ; et elle rejetait comme inutile tout ce qui ne contribuait pas
à la consommation immédiate de son cœur, – étant de tempérament plus sentimentale qu'artiste, cherchant des émotions et non des paysages.
Il y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit
jours, travailler à la lingerie. [...] Elle savait par cœur des chansons galantes du
siècle passé, qu'elle chantait à demi‑voix, tout en poussant son aiguille. Elle
contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions, et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman qu'elle avait toujours
dans les poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle‑même avalait
de longs chapitres, dans les intervalles de sa besogne. Ce n'étaient qu'amours,
amants, amantes, dames persécutées s'évanouissant dans des pavillons solitaires,
postillons2 qu'on tue à tous les relais, chevaux qu'on crève à toutes les pages,
forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles3 au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions,
doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l'est pas, toujours bien mis,
et qui pleurent comme des urnes4. Pendant six mois, à quinze ans, Emma se
graissa donc les mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture. [...] Elle
aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au long
corsage, qui, sous le trèfle des ogives5, passaient leurs jours, le coude sur la pierre
et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne un cavalier
à plume blanche qui galope sur un cheval noir.