M. Walter, qui appréciait [Boisregard] cependant, avait souvent
désiré un autre homme pour lui confier les Échos, qui sont, disait‑il,
la mœlle du journal. C'est par eux qu'on lance les nouvelles, qu'on fait
courir les bruits, qu'on agit sur le public et sur la rente1. Entre deux
soirées mondaines, il faut savoir glisser, sans avoir l'air de rien, la chose
importante, plutôt insinuée que dite. Il faut, par des sous‑entendus,
laisser deviner ce qu'on veut, démentir de telle sorte que la rumeur
s'affirme, ou affirmer de telle manière que personne ne croie au fait
annoncé. Il faut que, dans les échos, chacun trouve, chaque jour, une
ligne au moins qui l'intéresse, afin que tout le monde les lise. [...]
L'homme qui les dirige et qui commande au bataillon des reporters
doit être toujours en éveil, et toujours en garde, méfiant, prévoyant,
rusé, alerte et souple, armé de toutes les astuces et doué d'un flair infaillible pour découvrir la nouvelle fausse du premier coup d'œil, pour
juger ce qui est bon à dire et bon à celer2, pour deviner ce qui portera
sur le public ; et il doit savoir le présenter de telle façon que l'effet en
soit multiplié. [...].
Duroy devait faire l'affaire en perfection, et il complétait admirablement la rédaction de cette feuille3 « qui naviguait sur les fonds4 de
l'État et sur les bas‑fonds de la politique », selon l'expression de Norbert
de Varenne.
Les inspirateurs et véritables rédacteurs de La Vie française étaient une
demi‑douzaine de députés intéressés dans toutes les spéculations que lançait ou
que soutenait le directeur. On les nommait à la Chambre « la bande à Walter »
et on les enviait parce qu'ils devaient gagner de l'argent avec lui et par lui.
Forestier, rédacteur politique, n'était que l'homme de paille5 de ces hommes
d'affaires ; l'exécuteur des intentions suggérées par eux. Ils lui soufflaient ses articles
de fond qu'il allait toujours écrire chez lui « pour être tranquille », disait‑il.
Mais, afin de donner au journal une allure littéraire et parisienne, on y avait
attaché deux écrivains célèbres en des genres différents, Jacques Rival, chroniqueur d'actualité, et Norbert de Varenne, poète et chroniqueur fantaisiste [...].
Puis on s'était procuré, à bas prix, des critiques d'art, de peinture, de musique,
de théâtre, un rédacteur criminaliste et un rédacteur hippique, parmi la grande
tribu mercenaire des écrivains à tout faire. Deux femmes du monde, « Domino6
rose » et « Patte blanche », envoyaient des variétés mondaines, traitaient les questions de mode, de vie élégante, d'étiquette, de savoir‑vivre, et commettaient des
indiscrétions sur les grandes dames.
Et La Vie française « naviguait sur les fonds et bas‑fonds », manœuvrée par
toutes ces mains différentes.
Tenir secret.
Journal (métonymie).
L'argent.
Prête‑nom, personne
qui agit à la place d'une autre qui veut rester discrète.