À quatre reprises la machine achoppa1 sur le seuil même de la porte et quatre
fois un bruit d'armes retentit dans ses flancs. Nous n'en continuons pas moins,
sans prendre garde à rien dans notre rage aveugle, et nous installons ce monstrueux présage de malheur dans notre sainte citadelle. […] Nous autres, infortunés,
couronnons d'un feuillage de fête les temples des dieux dans toute la ville,
alors que ce jour devait être pour nous le dernier.
Pendant ce temps le ciel continue de tourner et de l'Océan s'élance la nuit
qui enveloppe de sa grande ombre la terre, le ciel et les ruses des Myrmidons2.
À travers la ville, les Troyens sont étendus, le sommeil enveloppe leurs membres
las. […] Sinon3, qui ne devait son salut qu'à l'iniquité du destin et des dieux,
relâche furtivement les Danaens4 enfermés dans le ventre du cheval dont il ouvre
les verrous de bois. Le cheval grand ouvert les rend à l'air libre ; de la cavité de
bois s'extraient joyeusement Thessandrus et Sthénélus, deux chefs, et l'exécrable
Ulysse […]. Ils se jettent sur une ville ensevelie dans le sommeil et dans le vin ;
ils tuent les sentinelles et, ouvrant les portes, ils y accueillent tous leurs compagnons5 : les deux groupes font leur jonction, comme prévu.
C'était l'heure où le premier sommeil commence pour les malheureux mortels
et, par un don des dieux, se glisse en eux comme le bienvenu. Dans un rêve,
voici qu'Hector se montre présent à mes yeux, un Hector accablé de chagrin et
pleurant à chaudes larmes, tel qu'il était le jour où un char le traînait, souillé
d'une poussière sanglante, ses pieds gonflés traversés par une courroie. […]
Tirant de sa poitrine un profond soupir, il dit : « Ah, fuis, fils d'une déesse,
dérobe‑toi aux flammes ! L'ennemi tient nos murs, la noble Troie s'écroule de son
faîte6. […] Troie te confie ses objets sacrés et ses Pénates7, les voici, prends‑les, ce
seront les compagnons de ta destinée. Cherche‑leur des remparts, tu finiras par
en élever de puissants après de longues errances sur la mer. » […]
Cependant, de tous les points de la ville, viennent se confondre des cris
de détresse ; […] les sons deviennent de plus en plus distincts et l'effroi d'une
bataille fait irruption. Je m'arrache au sommeil, je gagne la terrasse la plus élevée
et je reste là, l'oreille au guet. C'est comme un incendie, poussé par des
vents furieux, qui tombe sur des champs de blé ; comme, dans une rivière qui
descend des montagnes, une masse d'eau torrentielle qui emporte tout, ravage
les guérets8, ravage les grasses récoltes et tout le travail des bœufs, entraîne et
couche la forêt ; du haut de ses rochers, le berger entend le fracas, ne comprend
pas et reste tout étonné. Mais maintenant la preuve en est faite, le stratagème
des Danaens est manifeste.