Après la bataille contre les Sarrasins (
),
le comte Roland est mourant. Il tente de détruire son épée Durendal pour ne pas qu'elle tombe aux mains de l'ennemi.
Roland frappe sur une pierre grise.
Il en abat plus que je ne sais vous dire1.
L'épée grince, mais elle ne se rompt ni se brise.
Vers le ciel elle a rebondi.
Quand le comte voit qu'il ne la brisera pas,
tout doucement il se plaint en lui‑même :
« Ah ! Durendal, comme tu es belle et très sainte !
Dans ton pommeau d'or, il y a bien des reliques,
une dent de saint Pierre et du sang de saint Basile
et des cheveux de monseigneur saint Denis,
et du vêtement de sainte Marie.
Il n'est pas juste que les païens te possèdent :
c'est par des chrétiens que tu dois être servie.
Ne soyez pas à un homme capable de couardise !2
J'aurai par vous conquis tant de terres immenses
que tient Charles3 dont la barbe est fleurie !
Et l'empereur en est puissant et riche. »
Roland sent que la mort le prend tout entier
et que de sa tête elle est descendue vers son cœur.
Sous un pin il est allé en courant ;
sur l'herbe verte il s'est couché face contre terre.
Il met sous lui l'épée et l'olifant,
et tourne sa tête du côté du peuple païen :
il l'a fait parce qu'il veut coûte que coûte
que Charles dise, ainsi que tous ses gens,
du noble comte, qu'il est mort en conquérant.
Il bat sa coulpe4 à petits coups répétés 5
Pour ses péchés il tend à Dieu son gant.
Roland sent que son temps est fini.
Il est tourné vers l'Espagne sur un mont escarpé.
D'une main il s'est frappé la poitrine :
« Dieu, pardon, par toute ta puissance,
pour mes péchés, les grands et les menus,
que j'ai commis depuis l'heure que je suis né
jusqu'à ce jour où je suis terrassé ! »
Il a tendu vers Dieu son gant droit.
Des anges du ciel descendent jusqu'à lui. [...]
Ils emportent l'âme du comte en paradis.
1. La légende dit que ses coups d'épée ont ouvert la « Brèche de Roland » dans les Hautes‑Pyrénées.
2. Ne tombez pas dans les mains d'un lâche, d'un peureux : Roland s'adresse aux reliques autant qu'à son épée.
3. Charlemagne.
4. Il se repent.
5. Par ce geste, le vassal rend hommage à son suzerain.