En bas des murs de Troie se trouve un bosquet abritant un laurier1 sacré aux branches tordues. C'est là qu'Hector s'arrête enfin de courir. Sous les branches de l'arbre, deux hommes se retrouvent face à face. L'un d'entre eux a la peau mate, et ses pieds rappellent les racines, prêtes à s'enfoncer profondément dans le sol. Il porte un plastron doré, un casque, des jambières brunies. Cette tenue m'allait plutôt bien, mais il est plus grand que moi, plus large aussi2. Au niveau de sa gorge, le métal bâille, exposant un coin de peau.
Le visage de l'autre3 est méconnaissable, ses vêtements encore humides de son combat dans la rivière. Il lève sa lance de frêne.
Non, le supplie‑je en silence. C'est sa propre mort qu'il brandit, son propre sang qui sera répandu. Il ne m'entend pas.
Hector a les yeux écarquillés. Il n'a plus la force de courir.
– Accorde‑moi une faveur, dit‑il. Une fois que tu m'auras tué, rends ma dépouille à ma famille.
Achille émet un son inarticulé, comme s'il était en train de s'étouffer.
– Les lions et les hommes ne passent pas de marchés, répond‑il. Je vais te tuer et te dévorer tout cru.
Aussi éclatante qu'une étoile du soir, la pointe sombre de sa lance s'envole en tourbillonnant pour aller se loger au creux du cou d'Hector.
Achille regagne sa tente, où mon cadavre attend. Il est barbouillé de rouge de la tête aux pieds : ses coudes, ses genoux, son cou ont pris une teinte rouille. On dirait presque qu'il a nagé dans les vastes cavités sombres d'un cœur et qu'il vient tout juste d'en émerger, dégoulinant. Il traîne derrière lui le corps d'Hector, les chevilles percées d'un lien de cuir. La barbe bien taillée du Troyen est mêlée de terre, son visage noir de poussière sanglante à force d'avoir été tiré au galop par les chevaux attelés au char. [...]
Pour la première fois depuis ma mort, [Achille] sombre dans un sommeil agité.
Achille. Je ne peux pas supporter de voir que tu as autant de peine.
Ses membres tressaillent, il frissonne.
Accorde‑nous la paix à tous les deux. Brûle‑moi et enterre‑moi. Je t'attendrai dans l'ombre. Je...
Mais il se réveille déjà.
– Patrocle ! Attends ! Je suis là.
Il secoue le corps à côté de lui. Lorsqu'il constate que je ne réponds pas, les larmes reviennent en force.
Hector a dépouillé Patrocle de son armure et s'en est revêtu.