L'homme qui regardait passe entre la femme aux yeux fermés et l'autre au loin,
celui qui va, qui vient, prisonnier. On entend le martèlement de son pas sur la
piste de planches qui longe la mer. Ce pas‑ci est irrégulier, incertain.
Le triangle se défait, se résorbe. Il vient de se défaire : en effet, l'homme passe,
on le voit, on l'entend.
On entend : le pas s'espace. L'homme doit regarder la femme aux yeux fermés
posée sur son chemin.
Oui. Le pas s'arrête. Il la regarde.
L'homme qui marche le long de la mer, et seulement lui, conserve son mouvement initial. Il marche toujours de son pas infini de prisonnier.
La femme est regardée.
Elle se tient les jambes allongées. Elle est dans la lumière obscure, encastrée dans
le mur. Yeux fermés.
Ne ressent pas être vue. Ne sait pas être regardée.
Se tient face à la mer. Visage blanc. Mains à moitié enfouies dans le sable, immobiles comme le corps. Force arrêtée, déplacée vers l'absence. Arrêtée dans son
mouvement de fuite. L'ignorant, s'ignorant.
Le pas reprend.
Irrégulier, incertain, il reprend.
Il s'arrête encore.
Il reprend encore.
L'homme qui regardait est passé. Son pas s'entend de moins en moins. On le
voit, il va vers une digue qui est aussi éloignée de la femme que l'est d'elle le
marcheur de la plage. Au‑delà de la digue, une autre ville, bien au‑delà, inaccessible, une autre ville, bleue, qui commence à se piquer de lumières électriques.
Puis d'autres villes, d'autres encore : la même.
Il a atteint la digue. Il ne l'a pas dépassée.
Il s'arrête. Puis, à son tour, il s'assied.
Il s'est assis sur le sable face à la mer. Il cesse de regarder quoi que ce soit, la plage,
la mer, l'homme qui marche, la femme aux yeux fermés.
Pendant un instant personne ne regarde, personne n'est vu :
Ni le prisonnier fou qui marche toujours le long de la mer, ni la femme aux yeux
fermés, ni l'homme assis.
Pendant un instant personne n'entend, personne n'écoute.
Et puis il y a un cri :
L'homme qui regardait ferme les yeux à son tour sous le coup d'une tentative qui
l'emporte, le soulève, soulève son visage vers le ciel, son visage se révulse et il crie.
Un cri. On a crié vers la digue.