Le lendemain, Ferdinand fut obligé de sortir après le déjeuner. Lorsqu'il revint, deux heures plus tard, et qu'il se fut absorbé comme à son habitude devant sa toile, il eut une légère exclamation.
« Tiens, on a donc touché à mon tableau ! »
À gauche, on avait terminé un coin du ciel et un bouquet de feuillages. Adèle, penchée sur sa table, s'appliquant à une de ses aquarelles, ne répondit pas tout de suite.
« Qui est-ce qui s'est permis de faire ça ? reprit-il plus étonné que fâché. Est-ce que Rennequin1 est venu ?
– Non, dit enfin Adèle sans lever la tête. C'est moi qui me suis amusée... C'est dans les fonds, ça n'a pas d'importance. »
Ferdinand se mit à rire d'un rire gêné.
« Tu collabores donc, maintenant ? Le ton est très juste, seulement il y a là une lumière qu'il faut atténuer.
– Où donc ? demanda-t-elle en quittant sa table. Ah ! oui, cette branche. »
Elle avait pris un pinceau et elle fit la correction. Lui, la regardait. Au bout d'un silence, il se remit à lui donner des conseils, comme à une élève, tandis qu'elle continuait le ciel. Sans qu'une explication plus nette eût lieu, il fut entendu qu'elle se chargerait de finir les fonds. Le temps pressait, il fallait se hâter. Et il mentait, il se disait malade, ce qu'elle acceptait d'un air naturel.
« Puisque je suis malade, répétait-il à chaque instant, ton aide me soulagera beaucoup... Les fonds n'ont pas d'importance. »
Dès lors, il s'habitua à la voir devant son chevalet. De temps à autre, il quittait le canapé, s'approchait en bâillant, jugeait d'un mot sa besogne, parfois lui faisait recommencer un morceau. Il était très raide comme professeur. Le second jour, se disant de plus en plus souffrant, il avait décidé qu'elle avancerait d'abord les fonds, avant qu'il terminât luimême les premiers plans ; cela, d'après lui, devait faciliter le travail ; on verrait plus clair, on irait plus vite. Et ce fut toute une semaine de paresse absolue, de longs sommeils sur le canapé, pendant que sa femme, silencieuse, passait la journée debout devant le tableau. Ensuite, il se secoua, il attaqua les premiers plans. Mais il la garda près de lui ; et, quand il s'impatientait, elle le calmait, elle achevait les détails qu'il lui indiquait.
Souvent, elle le renvoyait, en lui conseillant d'aller prendre l'air dans le jardin du Luxembourg2. Puisqu'il n'était pas bien portant, il devait se ménager ; ça ne lui valait rien de s'échauffer la tête ainsi ; et elle se faisait très affectueuse. Puis, restée seule, elle se dépêchait, travaillait avec une obstination de femme, ne se gênant pas pour pousser les premiers plans le plus possible. Lui, en était à une telle lassitude, qu'il ne s'apercevait pas de la besogne faite en son absence, ou du moins il n'en parlait pas, il semblait croire que son tableau avançait tout seul. En quinze jours, Le Lac3 fut terminé.
1. Un ami du couple.
2. Célèbre parc parisien.
3. Nom de la toile à laquelle travaille le peintre.